
Cet automne, France Cayouette nous offre un troisième recueil de poésie, Doublure du monde1, après Jolie vente de débarras (2008) et Voix indigènes (2014).
Qu’est-ce qui peut bien se trouver dans la Doublure du monde de France Cayouette?
La page couverture, trouée d’un cercle, laisse voir la photo d’une œuvre de l’artiste gaspésienne Nadia Aït-Saïd, Samskara 2, où rien n’est réellement précis, défini ou flamboyant. Comme une invitation à chercher ce qui se cache dans nos propres doublures.
L’autrice, au début de chacune des trois sections du livre (« Batture de paupières », « Infinis d’occasion » et « Lumière-mémoire »), dresse une liste des choses et des êtres importants à ses yeux et signifiants pour l’humain que nous sommes : « Des maisons, des objets du salon, de ton lit défait […], De la table vitrée, de la volée de cloches, du balcon d’en face, […] Des planètes alignées, de la Lune, du grand papillon vert », etc. Tous ces éléments sont intégrés dans une poésie au style épuré, parfois proche du haïku, portée par une grande sensibilité et une attention voulue aux détails du quotidien. Voici trois extraits respectivement tirés de chacune des sections : « immobile au-dessus/de ton lit défait/tu te demandes/ce que le coton/a cueilli de toi »; « Au loin/une volée de cloches/traverse des lignes de vie »; « dans chaque galet/l’absolu/l’exercice de la rondeur ».
Dans ce recueil à la fois court et dense, l’autrice n’ira pas arpenter la Terre pour déchiffrer ce qui se tient dans la doublure du monde. France Cayouette, résidente de Carleton-sur-Mer, s’ancre d’abord et avant tout dans un milieu et un décor connus, aimés. Gilles Vigneault, notre poète national, l’a déjà dit : « Sans cesse, on est redevable de sa géographie et de son histoire2 ».
La poésie de France Cayouette nous transporte au-delà de cette sphère intime où elle nous convie. Immanquablement, elle nous amène ailleurs, plus haut, plus loin : « Cézanne Marie Uguay /Cohen et Suzanne /regardent le mot fruit/oublié sur votre table//ils ne parlent pas/ils appartiennent/à ce que verse/le thé de Chine//sous le plafond courbe/de la vieille cuisine d’été/le mot fruit/devient doucement/le mot orange ». N’est-ce pas en parlant de l’intime que l’on rejoint souvent l’universel, le monde? France Cayouette le fait si bien.
Ne cherchez pas dans la poésie de France Cayouette l’évocation de la haine, de la discrimination, de l’appropriation culturelle ou du racisme systémique. Son regard et ses mots sont plutôt attirés vers la vie qui bat, du matin jusqu’au soir, dans toute sa plénitude et sa fragilité. La confiance est de mise : « dans le consentement/des arbres/cette certitude/qu’ils reviendront de loin/te parler/de la doublure du monde ». La poésie de France Cayouette est tout à fait apaisante.
1. France Cayouette, Doublure du monde, Éditions du Noroît, 2021, 78 p.
2. Gilles Vigneault, Passer l’hiver, Éditions Le Centurion, coll. « Les Entretiens », France, 1978, p. 147.