
Depuis l’avènement des frères Lumière, un nombre incalculable d’images a défilé sur nos écrans, grands comme petits, pour nourrir notre imaginaire. Le cinéma et la télévision se sont toujours imposés dans le monde médiatique non seulement en tant que plateformes de divertissement au potentiel infini, mais aussi comme véritables vecteurs culturels. À travers différentes représentations, textes et sous-textes, trames narratives et personnages, l’art filmique participe incontestablement à la création et au renforcement des valeurs et idéologies sociétales, que ce soit par la critique, le commentaire ou encore la glorification. Bien qu’il soit pratiquement impossible d’analyser le paysage cinématographique dans son entièreté, une étude bien ciblée souligne certaines tendances, et ce particulièrement lorsqu’on observe la place des femmes dans le cinéma et la télévision. De l’ex petite-amie psychotique à la carriériste au cœur de glace, tous peuvent constater l’existence perdurable de tropes et de stéréotypes profondément enracinés dans le processus créatif des cinéastes et des compagnies qui les chapeautent. Malgré une évolution des systèmes de pensée dans l’industrie, qui se fait en corrélation avec les mouvements sociaux de plus en plus présents dans la sphère médiatique, force est d’admettre qu’il reste encore beaucoup de travail de sensibilisation et d’éducation à faire avant d’atteindre l’égalité des genres dans le milieu et d’y éliminer les stéréotypes les mieux ancrés, qui sont souvent les plus offensants.
Dans la dernière décennie, plusieurs œuvres filmiques ont mis de l’avant des personnages féminins forts. Pensons entre autres à ce qu’ont fait les Game of Thrones avec Arya Stark (Maisie Williams) et Daenerys Targaryen (Emilia Clarke), Atypical avec Casey Gardner (Brigette Lundy-Paine), Stranger Things avec Eleven (Millie Bobby Brown) ou encore The Queen’s Gambit avec Beth Harmon (Anya Taylor-Joy). C’est dans leur complexité émotive, leurs décisions, leur indépendance et leurs ambitions que prend forme leur vraisemblance. L’authenticité qui en découle amène le spectateur à développer un attachement avec ces personnalités fictives. Tout consommateur de cinéma et de télévision est en quelque sorte cinéaste sans le savoir; tout le monde fait instinctivement la distinction entre un bon et un mauvais personnage, une bonne et une mauvaise histoire, même si bon nombre d’entre eux ne sauraient véritablement mettre le doigt sur les raisons qui motivent ces jugements mentaux. C’est simple : le spectateur regarde l’écran comme il regarde le monde qui l’entoure; il cherche à trouver du sens dans les différents stimuli qu’il reçoit. Lorsqu’un élément n’est pas en adéquation avec ses connaissances et ses croyances, il y a dissonance. C’est exactement ce qui arrive au spectateur qui pose un regard actif sur le contenu qu’il consomme et qui se retrouve exposé à des tropes surutilisés jusqu’à en devenir « clichés », d’où l’importance de prêter attention aux pratiques stéréotypées et aux représentations faussées dans l’industrie du film. Bien que de plus en plus de cinéastes s’efforcent à briser les mythes d’un cinéma historiquement très masculin dans l’attribution des rôles, il suffit de regarder quelques films du palmarès hollywoodien pour retrouver des représentations réductrices des femmes. Voici quelques exemples de tropes qui persistent à mettre à mal la place qu’occupent les femmes dans le cinéma et la télévision :
LA FEMME-TROPHÉE (OU FEMME-OBJET)
Sexuellement « objectifiée » pour mieux mettre en valeur le personnage principal masculin, la femme-trophée est instrumentale, elle ne fait progresser l’histoire qu’en faisant partie de l’environnement mis en place par le cinéaste dans le but de nourrir le développement du personnage principal.
Il suffit de mentionner James Bond pour illustrer ce propos.
LA REINE DES GLACES
Celle-ci est plutôt fallacieuse puisqu’il est facile de la confondre avec un personnage « fort ». La reine des glaces est stoïque. Carriériste, elle consacre sa vie presque exclusivement à arriver à ses fins professionnelles. Les rares opportunités amoureuses qui se présentent à elles se concluent souvent en queue de poisson, car elle n’a pas de temps pour les histoires de cœur, ou alors ce sont les circonstances qui finissent par jouer contre elle.
Afin de se faire une idée du genre de personnage que peut être la reine des glaces, pensons à Chloe Decker (Lauren German) dans la série Lucifer ou encore à Carrie Mathison (Claire Danes) dans les premières saisons de Homeland.
LA VIERGE EFFAROUCHÉE (OU LA VIEILLE FILLE)
Bien qu’elle soit le personnage principal, elle est souvent présentée comme inaccomplie, voire malheureuse au début de l’histoire. Variablement, elle peut être présentée comme réservée, ou encore frustrée et blasée avant de s’épanouir, et ce seulement grâce à une relation amoureuse. Josie Geller (Drew Barrymore) en est un exemple flagrant dans Never Been Kissed.
L’EX-PETITE AMIE PSYCHOTIQUE
L’ex-petite amie psychotique prend très mal la rupture avec son copain. Elle se consacre ainsi à faire de la vie de celui-ci un enfer. Cette représentation de la femme est excessivement récurrente dans les comédies, ce qui rend le stéréotype banal.
Jenny Johnson (Uma Thurman) dans My Super Ex-Girlfriend… Y a-t-il vraiment autre chose à ajouter?
Des tas d’autres tropes limitent la place des femmes dans le cinéma, que je vous épargne par souci de longueur.
Outre les stéréotypes mis de l’avant à l’écran, la question de l’égalité des sexes dans les positions décisives de l’industrie pose un autre problème. Selon la Motion Picture Association of America (2019), qui pose un regard sur les 100 plus grands films de l’année, bien que les femmes soient tout aussi consommatrices de cinéma et de télévision que les hommes, seulement 10,7 % des réalisateurs et des réalisatrices sont des femmes, 19,4 % des scénaristes sont des femmes et 24,3 % des producteurs et productrices sont de sexe féminin. En bref, 28 % des rôles créatifs sont occupés par des femmes. Bien que ça semble peu, c’est une marque historiquement haute. La distribution des rôles est le département dans lequel les femmes supplantent les hommes en nombre.
Pour conclure, quoique l’industrie filmique évolue tranquillement vers une remise en question des stéréotypes, ou du moins vers une prise de conscience collective de leur absurdité et de leur vétusté, ainsi que vers une plus grande représentation des femmes au sein des équipes créatives, il y a encore beaucoup de place à l’amélioration autant sur le plan de la sensibilisation à l’égalité des sexes que sur le plan de l’éducation aux stéréotypes réducteurs.