
Et si l’on faisait de nos églises des lieux centraux dans la lutte aux changements climatiques? C’est la proposition étonnante que fait le Centre de ressources sur la non-violence (CRNV), un organisme qui a participé à de nombreuses luttes citoyennes des dernières années, comme celles contre les projets Énergie Est ou GNL Québec.
Cette idée s’est imposée dans l’esprit de Normand Beaudet, membre fondateur du CRNV, car elle se situe à la croisée de deux enjeux de notre époque : « En ce moment, un des gros défis de l’action climatique, c’est de redynamiser l’action citoyenne, rappelle-t-il. Une constante émerge des rapports faits par différents groupes citoyens (le Pacte, le Plan de la Déclaration d’urgence climatique ou la feuille de route Québec ZéN) : il va falloir penser à des espaces où les citoyens pourront travailler à faire émerger des initiatives dans les communautés. »
« Mon rôle étant de travailler à la mobilisation citoyenne sur l’ensemble du territoire québécois, j’ai pensé aux églises, qui sont en mal de vocations, poursuit M. Beaudet. Elles sont généralement au centre des villages, avec de l’espace autour. »
À la demande du CRNV, l’architecte Marie-Josée Deschênes, qui a une solide expertise dans la conversion de ce type de structures, a étudié comment les églises pourraient devenir des refuges pour affronter les changements climatiques. Elle a retenu plusieurs options qu’elle a jugées faisables, afin de répondre dans l’immédiat à une situation critique ou de bâtir patiemment des communautés plus résilientes.
Du sanatorium au centre de télétravail
Dans la première catégorie, on pourrait imaginer qu’une église devienne un sanatorium temporaire pour recevoir des personnes lors de crises sanitaires (qui deviendront plus fréquentes avec la hausse des températures), ou un refuge pour héberger des populations aux prises avec un aléa climatique – comme une canicule ou un feu de forêt, ainsi qu’on l’a vu cet été en Colombie-Britannique.
Dans la seconde catégorie, pourquoi ne pas mettre à profit les stationnements entourant les églises pour créer un pôle de partage et de recharge de vélos et véhicules électriques? Les énormes superficies couvertes par ces édifices pourraient également accueillir une production d’électricité, par le biais de panneaux solaires ou de la géothermie. « Un lieu de refuge doit de toute façon avoir une certaine autonomie énergétique », soutient Normand Beaudet.
Une église peut contribuer à diminuer les émissions de gaz à effet de serre d’une municipalité en devenant un centre de télétravail. Elle a aussi le potentiel de donner un coup de main aux producteurs locaux, si on l’équipe avec des systèmes collectifs de réfrigération, de transformation et d’entreposage alimentaire. « Ainsi, on prolonge la vie du marché public, en vendant à l’année des produits transformés », note Normand Beaudet.
Gros avantage de toutes ces idées : elles peuvent être combinées et donc apporter des bénéfices cumulatifs. Au passage, cela facilite le montage financier pour la conversion, puisqu’on peut alors demander des subventions à plusieurs ministères (Environnement et lutte aux changements climatiques, Santé, Sécurité publique…) en plus du Conseil du patrimoine religieux du Québec.
Normand Beaudet est persuadé que mener de tels projets permettra de plus de bâtir des ponts entre les jeunes préoccupés par la crise climatique et les générations plus âgées, soucieuses de préserver le patrimoine religieux.
Saint-Valérien, un exemple à suivre
Au Bas-Saint-Laurent, l’ancienne église de Saint-Valérien représente un bon exemple de la mentalité prônée par M. Beaudet. Devenue un centre communautaire, elle est dotée d’une cuisine collective que des citoyens utilisent notamment pour transformer les surplus de producteurs agricoles locaux.
Surtout, le centre communautaire est chauffé grâce à un système bi-énergie (électricité et biomasse) et peut donc servir de refuge lors d’un événement météorologique extrême, explique Patrick Morin, président du conseil d’administration : « Imagine une tempête de verglas causant une panne généralisée d’électricité durant une certaine période. Si on fonctionnait seulement à l’électricité, on serait faits… Mais on a juste à utiliser une génératrice pour faire marcher les pompes qui envoient l’eau dans les calorifères, et le bâtiment peut fonctionner sans électricité. »
Dans les prochains mois, le comité de travail sur les églises-refuges (qui dispose de sa page Facebook) va documenter davantage les cas de conversions d’églises compatibles avec la lutte aux changements climatiques, comme à Saint-Valérien. Le groupe de Normand Beaudet a déjà obtenu une grosse victoire au printemps dernier, lorsque l’Assemblée des évêques catholiques du Québec a émis un avis favorable à son idée.
Cela facilitera le travail de ceux qui veulent passer à l’action dans leur village, mais c’est surtout on ne peut plus logique : n’est-ce pas le rôle premier d’une église que de servir de lieu de refuge pour sa communauté?