
Chaque jour, les médias font état soit d’une catastrophe naturelle soit, au contraire, des solutions mises de l’avant par les villes et les pays pour lutter contre les changements climatiques. Partout, on entend que l’heure est venue de passer des paroles aux actions concrètes. Mais qu’en est-il des villes et villages du Bas-Saint-Laurent ? Déploient-ils leur juste part d’efforts? Leurs bottines suivent-elles leurs babines? Si on braque les projecteurs sur la protection des espaces verts et des boisés urbains, il est permis d’en douter.
LES MENACES QUI PLANENT SUR LES BOISÉS DE LA POCATIÈRE
Tout piéton ressent la chaleur accablante que dégage l’asphalte des immenses stationnements autour des centres commerciaux. À l’opposé, tout randonneur est envahi par les bienfaits d’une promenade en forêt. L’une des recommandations phares de la lutte contre le réchauffement planétaire consiste justement à réduire les îlots de chaleur en préservant les zones vertes, ces précieux îlots de fraîcheur.
Les villes et villages du Bas-Saint-Laurent commencent à peine à réfléchir à la question et à adopter des mesures concrètes, et tous n’affichent pas le même empressement. Le 5 octobre, à la suite d’une consultation citoyenne, la Ville de Rivière-du-Loup a adopté une Politique de l’arbre. La Pocatière a pour sa part enclenché le processus au printemps 2021. Pour en savoir plus, il faudra attendre la reprise des travaux du comité en novembre.
Chose certaine, pour le moment, la ville ignore même le pourcentage de zones boisées sur son propre territoire. Le dernier plan stratégique de la Ville (échu en 2011) et le plus récent plan d’urbanisme (1990) ne mentionnent pour leur part aucun objectif de protection d’espaces verts ou de forêts urbaines à préserver. En d’autres termes, la Ville ignore quel pourcentage de zones boisées elle abrite et quelle cible de protection elle vise. Sans objectif clair, difficile de poser des gestes concrets.
Pour le moment, aucun îlot boisé sur le territoire de la Ville ne se trouve à jamais protégé de tout développement, sauf le cœur de la montagne du Collège, là où elle n’autorise que « des aménagements légers et temporaires ». En réalité, comme dans trop de villes et de villages, les seules portions de territoire jouissant d’une protection permanente sont les zones non constructibles.
LA PROTECTION DES CABOURONS
Depuis 2010, la MRC a adopté un règlement visant l’encadrement de la mise en exploitation des carrières sur son territoire. Le concassé en provenance de ces formations rocheuses si typiques du paysage kamouraskois ne peut désormais plus être exploité et vendu sur le marché dans un secteur défini de part et d’autre de l’autoroute 20. La loi protège donc désormais par la bande ces refuges naturels témoins de notre passé géologique.
Certains cabourons sont situés en zones agricoles donc vertes, comme le mont du Nord, le long de la rue industrielle (route 132), derrière le parc de l’Innovation. Non cultivables, ils jouissent pour ainsi dire d’une protection par défaut… à moins d’un changement de zonage qui permettrait la construction résidentielle, menace qui, comme une épée de Damoclès, plane toujours. Par ailleurs, un règlement de zonage précise qu’une « rangée d’arbres » doit être plantée et entretenue tout le long de la ligne séparatrice entre les terrains industriels et la rue du Parc de l’Innovation.
D’autres cabourons privés, visibles de loin, émergent des champs, comme la montagne Pointue et sa petite sœur, la montagne Ronde, derrière les serres Montminy. D’autres encore jaillissent de secteurs résidentiels : c’est le cas de la montagne de l’Ours, propriété des Pneus Lévesque, qui forme une pointe à la jonction des routes 132 et 230. Il faut cependant l’autorisation des propriétaires pour les fouler du pied.
LE MORCÈLEMENT DE LA MONTAGNE DU COLLÈGE
Le Collège Sainte-Anne, corporation privée, possède encore la plupart des terrains agricoles du côté nord de la montagne du Collège, le plus imposant cabouron de La Pocatière. Côté sud, la dernière parcelle boisée vient d’être vendue. L’institution d’enseignement secondaire réussissait ainsi à trouver un acquéreur pour ces terrains mis en vente il y a déjà 20 ans, le long de la 230, entre l’édifice de la protection de la faune et le nouvel escalier permettant d’accéder aux sentiers. L’acquéreur, l’organisme Moisson Kamouraska, s’y implantera dès l’été 2022. Sa directrice Mireille Lizotte prévoit la construction d’un édifice de taille modeste. L’organisme a acquis l’entièreté des terrains parce que, précise-t-elle, « nous prévoyons en faire un jardin vivrier en plantant des arbres fruitiers et en entretenant un potager, ce qui permettrait de produire quelques denrées consommables sur place par la clientèle ». Un tel projet n’était pas envisageable dans le stationnement des anciens locaux voisins du Club Lions qu’ils louaient.
À court terme, le Collège ne prévoit pas vendre ses parcelles restantes au nord de la montagne, qu’il loue à des agriculteurs des alentours. Mais qui sait ce qui arrivera quand la Ville aura vendu les 30 terrains en friche qu’elle vient d’acquérir de l’homme d’affaires Paul Martin, à l’est de la rue du Verger ? On pourrait y construire davantage de maisons, ou pourquoi pas un troisième parc industriel, quand les deux autres seront remplis en totalité ?
Si cela devait arriver, la Ville ne pourrait prendre connaissance des plans que lorsque l’inspecteur des bâtiments recevra la demande de permis de construction. Aussi bien dire qu’elle se retrouvera une fois de plus devant un fait accompli. Par la suite, si le devis respecte « la réglementation en vigueur », elle ne pourra qu’émettre les permis requis.
UN RÈGLEMENT DE ZONAGE PASSOIRE
L’unique protection dont les forêts urbaines bénéficient, à l’intérieur comme à l’extérieur du périmètre d’urbanisation, repose sur un vieux règlement de zonage concernant les arbres. Il précise que seuls ceux qui sont malades ou dangereux peuvent être coupés, et doivent être remplacés. Quand une coupe illégale survient, les amendes sont minimes.
Un autre facteur explique cependant que des promoteurs puissent si facilement raser des boisés complets : pour le contourner, il leur suffit de concevoir un projet de construction qui implique des infrastructures s’étendant sur l’ensemble du terrain acquis, comme dans le cas de la résidence des Bâtisseurs.
LES PHASES I ET II DE LA RÉSIDENCE DES BÂTISSEURS
Le cas de la résidence pour aînés des Bâtisseurs en construction juste à côté de l’hôpital de La Pocatière illustre la facilité avec laquelle on peut faire place nette. La réglementation de la Ville n’a pu empêcher le promoteur de raser la lisière boisée abritant plusieurs arbres centenaires au fond de ce terrain de l’ancienne Villa Saint-Jean. Le règlement de zonage sur les arbres stipule pourtant que 60 % des terrains où rien n’a été construit par un promoteur doivent demeurer boisés. Il était cependant inapplicable ici : la Ville a dû forcer le promoteur à aménager un fossé et une butte tout le long du flanc sud pour éviter que les eaux pluviales du nouveau stationnement et du nouvel édifice n’engorgent les aqueducs de la ville.
Pour l’instant, la phase I n’a dégagé qu’une trouée d’une centaine de mètres ouvrant tout de même complètement la vue sur la polyvalente, mais une fois les 200 unités vendues, la phase II viendra raser ce qui en reste.
Des contextes semblables ont aussi entraîné la disparition de boisés dans le cas des projets des Bâtisseurs de Rivière-du-Loup, au nord de la rue Fraser, et dans l’arrondissement de Chicoutimi, à Saguenay, au cœur du parc de la Colline.
Les citoyens du voisinage devront à l’avenir limiter leurs promenades à la parcelle épargnée, désormais enclavée, derrière l’édifice du Centre de services scolaires. C’est ainsi que La Pocatière voit sous ses yeux se morceler à jamais un de ses rares corridors de verdure.
LE CAS DU PARC INDUSTRIEL CHARLES-EUGÈNE BOUCHARD
Les citoyens déterminés peuvent faire bouger les villes comme les promoteurs. Au printemps 2020, après avoir acquis les terrains du futur parc industriel Charles-Eugène Bouchard, à l’ouest de Bombardier, Action Progex a commencé à décaper le cap rocheux situé au sud. Devant la protestation populaire atteignant le conseil municipal et la MRC, la compagnie s’est ravisée et a racheté en remplacement une autre parcelle de terrain contiguë. La Ville, de son côté, a mandaté la compagnie Arbre évolution pour planter des rangées d’arbres afin d’atténuer les effets visuels de ce nouveau secteur industriel. Mais une rangée d’arbres, même à maturité, ne remplacera jamais un véritable boisé.
Somme toute, La Pocatière s’éveille peu à peu à l’importance de préserver ses parcs et ses zones boisées. Mais si elle ne veut pas brader son patrimoine naturel, elle devra, à court terme, relever d’importants défis.
Le nouveau conseil municipal aura certainement du pain sur la planche.
1. Le Mouton Noir publiera une série d’articles portant sur plusieurs villes et villages du Bas-Saint-Laurent. Dans le prochain numéro : Rivière-du-Loup.