
Le centre d’artistes autogéré VU de Québec organisait au printemps 2021 des rencontres sous le thème « Atelier partagé », animées par Giorgia Volpe1, artiste en arts visuels, avec la participation et la collaboration de Véronique Isabelle, également artiste en arts visuels et chargée de projets au centre VU. Ces rencontres avaient pour but de créer, avec un groupe d’artistes auquel j’ai participé, un espace de discussion sur le travail de création, sur la photographie et de façon plus large sur la création d’images2.
Ces rencontres sont peu fréquentes, mais essentielles pour comprendre les liens que nous entretenons avec l’art et rendre compte de la singularité et de la sensibilité de chacun à l’égard du monde auquel nous appartenons. Difficile ici de rendre compte de la complexité des processus de création puisque, derrière chaque image, intervient d’abord l’unicité des individus dans leur façon de lier le réel et l’imaginaire.
C’était d’ailleurs mon questionnement : comment préserver le lien entre le réel et l’imaginaire tout en échappant à l’emprise du réel pour laisser voir ce qui n’est pas vu? La mise en question du positivisme en photographie (faire coïncider l’image avec ce qu’elle montre qui est aussi le propre de l’idéologie de la transparence, tout comme le font d’ailleurs certaines conceptions des sciences sociales qui ne s’intéressent qu’aux faits observables sans tenir compte des dimensions de l’imaginaire, du symbolique, des émotions, de l’affect, du sens, du politique, etc.) est toujours d’actualité. Ce sont ces dimensions que nous avons partagées à travers nos images quand nous avons présenté nos collections et travaillé sur les thématiques qui portaient sur l’interconnexion et la réciprocité pour exprimer en images le souci de l’autre et pour dire que l’autonomie de l’art ne se fait pas dans l’abstraction, mais dans un processus qui interroge notre rapport au monde. L’échange excessivement généreux s’est construit autour de la valorisation du don et de l’entraide dans un esprit de bienveillance en regard du travail de l’artiste.
Par ailleurs, nous avons souligné le rapport au temps et à l’espace, nous nous sommes interrogés sur la fébrilité, le rapport à l’inconscient, au dialogue, à la correspondance, à l’autre, à l’ouverture, à la poésie, au prolongement de soi, au retour et à l’effet sur soi, à la mémoire, au collage, au classement, à l’appropriation d’images, à la communauté et à l’intérêt du spectateur sans qui l’œuvre ne serait qu’une abstraction. Autant de mots-clés et de liens qui reviendront au fil de nos rencontres pour dire que l’art n’est pas séparé de nos vies (et c’est aussi pour certains une question de survie) ni de la nature avec qui l’art entretient une incontournable et profonde relation.
Des références ont aussi été nombreuses et ont alimenté notre réflexion sur les arts visuels et nourri nos pratiques artistiques. Je pense entre autres à Francis Hallé3, botaniste, qui en parlant de la beauté des arbres dit que « l’être humain devrait s’en inspirer spécialement en ce moment ». Mais aussi au cinéaste et poète Andreï Tarkovski4 qui a fui la Russie, son pays natal, pour échapper au réalisme socialiste qui s’oppose au pouvoir de la création. Il disait que « les soi-disant “normaux” ont mené le monde au bord de la catastrophe ». Ils sont peut-être en train de nous y conduire en séparant l’art de la condition humaine alors que, comme le souligne Hannah Arendt, une référence à laquelle nous avons également fait appel lors de nos rencontres, l’art est ce qui permet d’agir et de donner un sens au monde et à la pluralité de la vie.
1. Pour apprécier et comprendre la démarche artistique de Giorgia Volpe, voir sa conférence « Tisser l’existant », https://vimeo.com/271569912
2. L’atelier, conçu par Giorgia Volpe et Véronique Isabelle, regroupait les artistes suivants : Raymond Beaudry, Marie-Josée Desrochers, Marion Gotti, Laurence Gravel, Sandra Larochelle, Catherine Plaisance, Alex Pouliot, Gabrielle Schloesser, Venetia Tsibucas.
3. Francis Hallé, Nous les Arbres [Web-série], 2019, www.youtube.com/watch?v=63F1se_d9KE
4. Tarkovsky quartet, Le temps scellé: Mychkine, 2012, www.youtube.com/watch?v=R3ZZMR2WJ6c et
5. Andreï Tarkovski, Poésie et vérité, 1999, www.youtube.com/watch?v=cNtl5I2zYgY