
J’ai ici envie de parler des raisons qui m’ont poussée à démarrer ma propre entreprise agricole : répondre à un besoin non seulement alimentaire, mais aussi collectif, celui de nourrir la réflexion par rapport aux enjeux liés à la diversité sexuelle, de genre et relationnelle en région.
Je suis technicienne en agriculture biologique. Lorsque j’ai quitté Victoriaville où j’ai étudié, une centaine d’aspirant agriculteurs et d’aspirantes agricultrices arrivaient chaque année sur les bancs d’école. Mais ce n’était pas si bien vu dans ma technique, les gentle (wo)man farmers. C’est vrai que c’est plus un mode de vie qu’une job, l’agriculture. Vouloir faire de l’agriculture son deuxième emploi, c’est un peu contre-intuitif, je l’avoue. À mon avis, l’agriculture reste le plus beau métier du monde et je veux avoir les mains dans la terre même si j’ai renoncé depuis longtemps à ce que cela devienne mon emploi principal.
Depuis la fin de mon parcours scolaire, je suis devenue maman, puis monoparentale (mais pas uniparentale : il y a un deuxième parent sur qui je peux habituellement compter). En voulant aider d’autres personnes qui allaitaient et en gérant le groupe d’entraide en allaitement de ma MRC, j’ai découvert la relation d’aide. J’ai alors eu une deuxième révélation pour un autre créneau : l’intervention communautaire. La plus grande partie de ma clientèle était composée de jeunes familles mono/hétéronormatives assez typiques et de quelques cas particuliers qui m’ont montré que je n’étais clairement pas assez outillée pour aider de manière appropriée des personnes plus vulnérables que moi, c’est pourquoi j’ai commencé à l’automne 2020 un baccalauréat multidisciplinaire à l’Université Laval de façon à avoir en poche quelques outils d’intervention. En tant que mère monoparentale qui habite le magnifique-mais-quand-même-reculé village de Saint-Clément dans les Basques, les options d’emplois flexibles adaptées à ma réalité ne sont pas vraiment présentes, autant en profiter pour faire un autre retour tardif aux études.
La communauté queer dans les Basques est plutôt effervescente. En arrivant ici il y a un an, je n’assumais pas totalement mon identité sexuelle, de genre et relationnelle. Mais j’y ai rencontré tellement de personnes au parcours inspirant que j’ai eu envie de vivre sans l’emprise des normes sociales. Migrer dans cette nouvelle région m’a vraiment aidée à repartir à neuf et à prendre le chemin de la résistance face à l’hétéronormativité et la mononormativité ambiantes. L’hiver dernier, avec quelques autres queer du coin, j’ai élaboré un projet que vous connaissez peut-être : Aranéide – magazine queer de région. Le projet a pris un envol inespéré et on a compris qu’on n’était vraiment pas les seul.es à ressentir le besoin de s’exprimer sur notre vécu allosexuel. Grâce à Aranéide, j’ai découvert que lorsque je commence à parler de sexualité positive dans un contexte décomplexé et inclusif, j’ai beaucoup de difficulté à m’arrêter.
Étant un parent queer dans un milieu rural où bien des stéréotypes et idées préconçues « enclavent » notre progéniture, et souhaitant déconstruire un certain nombre des biais intérieurs que l’on m’a transmis au sujet de la diversité sexuelle, il est devenu évident que je devais participer, dans la collectivité, au développement d’un esprit critique par rapport aux enjeux de la communauté LGBTQIA2S+/non-monogame, par un moyen éducatif et non culpabilisant.
Pourquoi ne pas jumeler mes deux passions? C’est ainsi qu’est né le projet des Champs Alizés – Agriculture socio-écologique : une entreprise anticapitaliste qui s’est donné comme mission d’aider d’autres OBNL et de faire de l’éducation populaire sur une foule de sujets, dont les enjeux queer. On parle d’un hectare en culture de cassis, de camerises, d’amélanches et de courges d’hiver de spécialité dès l’an prochain, tout près de Trois-Pistoles. Je monte, en parallèle, deux ateliers : « Comment devenir un.e (meilleur.e) allié.e de la communauté LGBTQIA2S+ » et « Démystifier les relations non monogames consensuelles ».
J’ai encore des apprentissages à faire, mais mon bagage personnel, scolaire et ma forte envie d’assumer pleinement qui je suis à l’aube de mes trente ans m’ont poussée dans ce chemin éclectique, aussi terrifiant qu’excitant. Je dois souvent fracasser mon patriarche intérieur pour me donner le droit de me lancer en agriculture. Une chance qu’une gourou au fond de moi est stimulée par l’envie d’accompagner les gens dans la déconstruction d’idées préconçues, ça atténue les doutes dans les périodes de questionnements.
Je continue de développer des partenariats avec des écoles et d’autres OBNL. Planter 2 000 arbustes fruitiers et 2 000 plants de courges pour démarrer les cultures, c’est énorme pour une seule personne. Je n’aurais jamais envisagé ce projet si le but n’était pas de créer une richesse sociale et de diversifier autant l’offre alimentaire que l’offre de services sociaux en région. Je veux offrir la moitié de mes récoltes à des organismes qui visent la sécurité alimentaire dans les Basques, et faire en sorte que plus de gens profitent de l’abondance quand elle sera là; je ne me lance pas en agriculture pour qu’en profitent seulement les mieux nanti.es (mais je comprends totalement les agriculteurs et les agricultrices qui le font, considérant la pression capitaliste tangible).
Si jamais l’envie de collaborer germe en vous, sachez qu’il y a de la place pour tout le monde dans ce projet.
Une gentlequeer farmer au service de la résistance fertile!
Pour soutenir le projet, écrivez à les.champs.alizes@gmail.com