Champ libre

De Kerouac à Gilles Archambault

Par Christian Lewis le 2021/11
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Champ libre

De Kerouac à Gilles Archambault

Par Christian Lewis le 2021/11

L’an prochain, nous fêterons le 100e anniversaire de naissance de Jack Kerouac, le célèbre écrivain de la Beat Generation, qui a notamment écrit On the Road (Sur la route). Ce roman publié en 1957 ne cesse de faire rêver les voyageurs dans l’âme.

Saviez-vous que cet auteur a des racines dans la région du KRTB? Il est né à Lowell au Massachusetts où plusieurs Québécois ont émigré il y a plus d’un siècle pour y trouver du travail dans les usines, mais son père, Léo-Alcide Kerouac, est originaire de Saint-Hubert-de-Rivière-du-Loup. Comme le relate Gaétane Soucy qui était présente lors de la visite de Kerouac près de la maison paternelle, habillé « un peu comme un guenillou », cet Américain, porte-étendard des clochards célestes de la contre-culture, a fait sensation dans le village de l’époque.

Dans Le Devoir du 31 décembre 2020, Gabriel Anctil résume le rocambolesque périple de Kerouac, pèlerinage d’un homme au bout de sa route, à la recherche de ses origines et de sa culture plus ou moins diluée dans le melting pot américain. Grâce au témoignage de Joseph Chaput qui a accompagné Kerouac dans son aventure au Québec en 1967, nous apprenons que cette tournée bien arrosée des bars et des motels a fait escale à Rivière-du-Loup.

SPOKEN WORD

Ce qu’on sait un peu moins à propos de Kerouac, c’est qu’il a aussi eu une activité musicale. On pourrait même le qualifier de pionnier du spoken word qui a donné lieu au rap, puis au hip-hop. C’est toutefois sur des improvisations de jazz que Kerouac donnera libre cours à son flot de paroles et de textes.

En réaction aux musiciens de big band qui faisaient swigner la planète dans un pur esprit de divertissement, un nouveau mouvement musical émerge dans les années 1940 : le be-bop. Le jazz prend alors une tendance plus artistique que commerciale. La virtuosité frénétique des petits ensembles inspire les poètes et les peintres. Charlie Parker, Miles Davis, Dizzy Gillespie et Thelonious Monk jouent la trame sonore à leurs contemporains de la Beat Generation. Ces clans artistiques partagent l’esprit du risque, de l’aventure, de l’innovation créatrice, de la recherche de liberté et malheureusement aussi le goût des drogues dures.

Kerouac et Allen Ginsberg fréquentent les after-hours de Greenwich Village, berceau du bop. Kerouac a été inspiré par les musiques de Dexter Gordon et de Lester Young, « ce saint grave et mélancolique » comme il le disait.

Puis, Jack K. se produit au Village Vanguard à New York. Comme la lecture des extraits de son roman On the Road n’est pas concluante, il s’essaie à l’improvisation littéraire, avec l’appui du quatuor du tromboniste J.J. Johnson, et triomphe.

Un des disques auquel il participe a vu sa sortie retardée à cause de propos jugés immoraux. Kerouac se lie dans ses projets musicaux à des collaborateurs de grands talents, dont Charlie Parker, Al Cohn et Zoot Sims. Sa poésie lue sans accompagnement sera également diffusée en 1959 par Verve, mythique maison de disques de jazz.

Pourquoi parler de jazz aujourd’hui? Parce que cette musique est un phénix qui renaît sous différentes formes depuis plus d’un siècle. Elle a toujours évolué entre deux chaises, soit entre la vitalité des musiques populaires et la profondeur des musiques plus savantes. Des racines du blues avec Bessie Smith au jazz hop de Kendrick Lamar, plusieurs courants ont vu le jour, offrant une diversité sans pareil1.

La richesse des musiques afro-américaines a été une source d’influence partout en Occident. Encore aujourd’hui dans les départements de musique des collèges et des universités, on enseigne le jazz et l’improvisation aux futurs musiciens et aux futures musiciennes.

Au Québec, les artistes populaires de toutes les générations ont intégré des éléments de jazz dans leurs chansons, de Charlebois (accompagné du Quatuor du Jazz libre à l’Osstidcho) à Milk and Bone, en passant par Octobre, Offenbach, Sylvain Lelièvre, Diane Tell, Boule Noire, Ariane Moffatt, OGB. Que dire des fabuleux musiciens et musiciennes de jazz d’ici qui ont parcouru le Québec et le monde : Oscar Peterson, Oliver Jones, Paul Bley, Michel Donato, Uzeb, François Bourassa, Lorraine Desmarais, Karen Young, Ranee Lee et plusieurs autres.

Le jazz a été diffusé via la radio partout au pays. Radio-Canada a toujours eu dans sa programmation une émission de jazz, dont celle mythique de Gilles Archambault : Jazz Soliloque. Je me rappellerai toujours un séjour à l’Île-aux-Lièvres où, à l’heure de l’apéro, Archambault proposait sur les ondes ses trouvailles issues de sa propre collection de disques. C’était juste avant la destruction de la chaîne culturelle pour en faire une radio quasi commerciale. J’ai eu la chance d’interviewer Archambault pour la Phonothèque québécoise peu de temps avant. Il m’a tellement appris sur le jazz que j’étais très ému de le rencontrer2.

De Kerouac à Archambault, je ferme la boucle avec ces deux écrivains passionnés de jazz et liés à notre patrimoine littéraire. Nous partageons avec la communauté afro-américaine ce sentiment précaire vécu par les communautés minoritaires. Cela nous permet de mieux apprécier cette musique. À tous ceux et celles qui lisent ce journal ou qui y écrivent, je vous souhaite la grâce de le faire en jazzant.

1. Pour découvrir les multiples facettes du jazz, je vous invite à consulter les vidéos que j’ai réalisées sur son histoire : voir Guide Jazz Lewis sur YouTube.

2. Quelques extraits de l’entrevue sont disponibles ici : http://www.phonotheque.org/Entrevues/Invites/Archambault.html

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