L’Atelier Mange-Camion, compagnie d’art public qui donne dans le multi-pluri-disciplinaire, propose cet objet objet curieux et inclassable qu’est Boule de flèches. Ce « concerto-graphique », selon les créateurs Mathieu Parent, Jean-Benoît Duval et Éliot B. Lafrenière, pourrait se définir comme un carnet stratigraphique où la poésie, l’entomologie, l’écologie, l’art visuel et le politique se superposent pour créer un résultat organique.
J’ai apporté Boule de flèches au parc du Bic pour une matinée de lecture, expérience intime à laquelle se sont mêlés le vent et la marée.
Entre ocelles de papillons, écailles et pointillisme, le carnet s’ouvre d’abord comme les ailes du boloria des tourbières (boloria eunomia) et nous invite à creuser, à nous perdre dans les mots tracés à travers les constellations de motifs. Symbole même de l’hybridité, Boule de flèches part dans une myriade de directions : le surréalisme côtoie l’engagement social; les néologismes, le vocabulaire du quotidien; les pointillés et taches-motifs se mêlent au texte.
Cartographie chaotique et pourtant pleine de sens, le carnet ne s’attarde pas à retracer le passage du temps, d’ailleurs les pages ne sont pas numérotées. En tant que lectrice, j’ai été invitée à m’immerger dans la tourbière, à m’inclure dans ce projet foisonnant : « Attelé-e-s au calme / de la voûte érigée / Nos doigts se relâchent / ensemble / Cartographes / de battements inauguraux ».
Le carnet nous entraîne dans des jeux d’espace et de typographie et nous laisse, au fil des pages, reconstituer l’architecture d’une rencontre entre un passé nommé et un futur évoqué dans un présent transitoire.
Ce carnet, c’est également une rechute, d’où une image complexe surgit, se décompose. Les mots reviennent, géométriques, mais désaxés. Boule de flèches : une expérience transcendante d’écosystème, les pieds dans les algues et les dessins qui chantent encore dans l’encre d’imprimerie. Au bas des pages apparaissent des mots plus foncés, dans une police différente. Je retourne en arrière pour voir ce que j’ai manqué. Le poème se construit sur plusieurs pages, dans un coin, en cachette et les fragments finissent par se superposer. La noirceur « se noircit », les caractères s’empilent, une multitude de voix cacophoniques, illisibles ratures. Le poème n’est plus que rémanence. Ne reste que l’éphémère d’un carnet à marée basse. Le paysage se transforme. Les mots bougent et le murmure des vagues remplit le vide.
Les battements d’ailes sont trop rapides pour qu’on puisse les compter, le lecteur assiste à une déconstruction accélérée de l’écosystème : « à la fenêtre de notre marécage / l’Histoire est un mot brûlure / la peau d’une pomme en chute libre ».
Dans la postface rose, on peut lire le mot « trophique » comme un fil qui nous rattache à l’écosystème et qui réconforte. Les explications courtes et claires desservent bien le projet Boule de flèches et permettent la mise en relief du travail de chacun des artistes qui a réalisé l’objet. Le projet a été inspiré, autant pour le visuel que pour le contenu, par L’envers et l’endroit de Pierre Dansereau, Québécois pionnier de l’écologie contemporaine. Dans cette section, on découvre enfin le nom du papillon mystère qui hantait les pages de Boule de flèches – je me félicite de ne pas l’avoir lue au début. J’ai pu entrer dans le texte par mes propres moyens, gruger mon propre chemin d’insecte phytophage à travers ce carnet couleur saule.