
On ne peut dissocier Suzanne Tremblay du monde rural. Transplantée dans l’Est-du-Québec en 1970 – l’année même du début des Opérations Dignité (OD), le soulèvement populaire le plus important de l’histoire rurale du Québec –, Suzanne Tremblay s’enracine dans une région à son image. La population du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie se mobilisait contre une politique d’expropriation et de relocalisation mise en œuvre par le gouvernement et pour faire valoir son point de vue et son autonomie dans les choix de développement du territoire. Elle cherchait à se faire entendre. Suzanne avait justement une voix toute désignée. Une voix qui résonnait tant sur le territoire que dans les officines du pouvoir.
Sa voix imposait la réflexion, suscitait l’action. Que ce soit comme députée, comme présidente et coordonnatrice du comité école de la Coalition urgence rurale ou comme conseillère municipale à Saint-Fabien, elle se posait tel un véritable tribun au service des invisibles, ces municipalités que l’on nomme parfois, avec condescendance, les petites communautés de l’arrière-pays. Elle s’était ralliée à ces gens qui avaient bâti un pays à l’est du Québec.
Il faut souligner que cette voix puissante qui a fait la réputation de Suzanne n’aurait pas eu autant de valeur et de crédibilité si elle ne s’était pas appuyée sur une connaissance approfondie de la réalité des territoires et de leurs habitants. Car Suzanne ne faisait pas que parler. Elle savait écouter et ressentir. Elle comprenait ainsi avec justesse les enjeux des communautés rurales, allant de la valorisation des compétences du milieu à la sauvegarde des écoles, du soutien à l’emploi saisonnier au maintien des services tels que les dépanneurs et les bureaux de poste, si importants pour la vitalité de nos villages et malheureusement encore trop souvent mis à mal par des politiques indifférentes aux singularités du monde rural. Elle présentait et discutait ces enjeux lors de rassemblements régionaux tels que le colloque Comprendre l’habitat du producteur agricole et forestier à Saint-Adelme en 2009, ou les deux éditions du Forum social bas-laurentien, à Esprit-Saint en 2011 et à Saint-Mathieu-de-Rioux en 2014.
Elle fut également partie prenante de presque toutes les éditions de la Journée de la résistance et de la fierté rurale, célébrant chaque année une municipalité de l’Est-du-Québec qui a fait preuve de détermination et de créativité dans ses réalisations et son affirmation d’habiter le territoire. La Journée de la résistance et de la fierté rurale a été créée en 2006 lors de la campagne de financement pour l’implantation du Centre de mise en valeur des Opérations Dignité. Né de la mobilisation des habitants d’Esprit-Saint, village où fut lancée Opération Dignité II, cet OBNL entend perpétuer et actualiser la mémoire du soulèvement populaire dans l’Est du Québec. Alors présidente de la Coalition urgence rurale, Suzanne s’est impliquée à diverses reprises pour soutenir le développement de l’organisme et assurer sa visibilité au côté de son ami Gilles Roy, ancien leader d’OD III et autre figure régionale d’exception qui, comme Suzanne, défendait haut et fort les couleurs du monde rural.
Pour que l’Est-du-Québec ne soit pas à nouveau oublié, voire effacé, il fallait des voix fortes, enracinées et intègres, dont celle de Suzanne Tremblay. Elle incarnait la fierté du monde rural, celle qui alimente le pouvoir de l’intervention. Présente pour sauvegarder la députation de l’Est-du-Québec au fédéral et au provincial, active pour préserver le système d’assurance-emploi, ses actions entraînaient nécessairement des résultats. Lorsque Suzanne se saisissait d’une cause, celle-ci devenait de facto plus pertinente.
Suzanne interpellait tant les natifs que les nouveaux arrivants de la région sur les luttes passées et à venir. Elle ne craignait pas la polémique. Au contraire disait-elle, cela générait du mouvement, permettait de démasquer les impostures, de révéler les contradictions et de dévoiler les intérêts des différents acteurs. Pour Suzanne, vivre c’était s’investir, se taire c’était mourir, agir c’était garantir un avenir. Incapable d’abandonner, de fermer les yeux devant l’injustice, elle suscitait la solidarité. Qu’importe les embûches, elle était là, affirmant l’essentiel. À force de l’entendre, on finissait par croire au droit d’être chez nous. Une géante s’est tue, mais sa parole vibrera encore longtemps sur les cordes du territoire.