Je voudrais brièvement rappeler des faits qui remontent à près de cinquante ans et qui risqueraient autrement de tomber dans l’oubli. Ils concernent le rôle capital qu’a joué Suzanne Tremblay dans la fondation et l’organisation du syndicat des professeurs et des professeures de l’Université du Québec à Rimouski.
Il était une fois, au tournant des années 1960-1970, dans une petite université à l’avenir encore très incertain, un groupe peu nombreux de jeunes professeurs et professeures, la plupart sans expérience de l’enseignement supérieur, mais aussi sans aucune connaissance de l’organisation syndicale. Et Dieu sait que nous en avions vraiment besoin. C’est dans ce contexte qu’apparaît Suzanne.
Elle manifeste rapidement une autorité assurée dans un milieu et à une époque où les hommes sont partout prépondérants et où les ego sont légion. Il faut savoir qu’alors le monde de l’enseignement universitaire est peuplé de jeunes diplômés qui appartiennent pour beaucoup à la première génération familiale ayant fréquenté l’université. D’où un sentiment de supériorité et de fierté chez ceux et celles qui se voient en pointe de la formation d’une nouvelle élite sociale. Toutes ces personnes ont traversé une course à obstacles, voire pour certains un vrai parcours du combattant. Ces « héros du travail solitaire » n’adhèrent donc pas spontanément aux objectifs d’égalité et de solidarité du mouvement syndical. Il faut dire qu’au début des années 1970, très peu d’établissements universitaires comptent des syndicats. On y rencontre bien quelques organisations bona fide faibles et peu revendicatrices, dont les moyens d’action datent de l’université médiévale. Il y a bien sûr une exception notable, celle que constitue le syndicat des professeurs de l’UQAM, dont l’influence sera grande sur le développement de notre mouvement.
Suzanne agit parallèlement dans deux champs : la négociation d’une première convention collective, mais aussi la structuration et l’animation de notre jeune syndicat. Elle joue dans les deux cas et dès le départ un rôle de chef d’orchestre. À la présidence du syndicat, bien sûr, mais aussi comme porte-parole à la table de négociations, où elle a laissé la marque d’une battante. Le qualificatif courant qui la désigne à l’époque, c’est celui de « locomotive », tellement sa capacité à nous faire bouger est grande.
Je voudrais souligner enfin ici trois de ses plus importantes qualités dans l’exercice de ses fonctions syndicales :
LA CAPACITÉ À S’INDIGNER
Suzanne a toujours eu une capacité naturelle à s’indigner devant l’injustice en sachant se mettre à la place des autres, de ceux qui sont lésés par le système. Je me permettrai une anecdote : dans les débuts de l’université, les professeurs bénéficiaient du privilège d’inscrire sans frais leurs conjoints et leurs enfants aux cours. Lorsque Suzanne s’est aperçue que les sommes nécessaires venaient du maigre budget des affaires étudiantes, elle a protesté, convaincu les membres du syndicat et obtenu la fin de cette pratique.
LA CAPACITÉ DE RÉSISTER
Cette habileté se fondait sur deux caractéristiques de sa personne : une voix puissante d’abord, servie par un langage très imagé, très coloré. Comme nos vis-à-vis patronaux étaient souvent à l’époque des ecclésiastiques, les écarts de langage de notre présidente suscitaient bien des réactions. Sa fidélité à des principes ensuite, sans concession et bien articulés à une vision de la vie universitaire fondée sur la primauté de la collégialité et sur une lutte constante contre l’arbitraire et une certaine manie du secret cultivée par nos opposants.
LA CAPACITÉ DE RÉUNIR, DE FÉDÉRER AUTOUR D’ELLE LES TENANTS DU CHANGEMENT
Je ferai appel ici encore à une anecdote, personnelle cette fois. C’était en octobre 1972 et il y avait élection au comité exécutif du syndicat. J’avais eu la présomption de me présenter contre elle à la présidence. J’ai été bien sûr sèchement battu. C’est alors qu’elle est venue à ma rencontre, avant le scrutin pour les autres postes et qu’elle m’a demandé de me présenter à l’une des fonctions qui restaient à pourvoir. J’ai accepté et je ne l’ai jamais regretté. Je ne savais pas que c’était le début pour moi d’une longue carrière syndicale.
On peut dire qu’en matière syndicale, Suzanne nous a à peu près tout appris. Pour cette dette que nous avons contractée envers elle, je veux la remercier sincèrement en mon nom personnel et en celui des autres qui ont su et pu profiter de son exemple. On pourrait même ajouter à la liste, malicieusement, la direction de l’université qui, grâce à Suzanne, a trouvé en face d’elle un syndicat militant toujours préoccupé de défendre la qualité de l’enseignement supérieur, en dépit d’aléas budgétaires hélas fréquents.