
Pendant la campagne électorale fédérale, Le Mouton Noir interrogera un représentant de chaque parti sur le thème de l’urgence climatique. Troisième partie : le Nouveau parti démocratique, qui pourrait créer quelques surprises mais n’a pas été en mesure de trouver des candidats locaux dans l’Est-du-Québec.
Après avoir travaillé comme chercheur en justice économique et sociale à l’Université d’Utrecht aux Pays-Bas, Sylvain Lajoie est maintenant étudiant à la maîtrise en administration publique à l’ÉNAP. À 38 ans, il tentera de remporter la circonscription Rimouski-Neigette–Témiscouata–Les Basques pour le NPD, bien qu’il soit arrivé tardivement dans la course. Cette semaine, il fera d’ailleurs le voyage depuis Montréal pour faire campagne.
Mouton Noir : Vous avez vu passer le dernier rapport du GIEC. Qu’est-ce que cela vous inspire?
On va se parler franchement : on sait depuis des décennies que l’urgence existe, et on ne fait rien. La particularité de ce rapport, c’est que c’est la première fois qu’on dit sans équivoque que les changements climatiques sont causés par les humains. Avant, il y avait une certaine hésitation, bien qu’extrêmement minime. Cela a laissé la place à des gens qui disaient qu’il n’y avait pas consensus. Avec ce rapport, il n’y a plus de questions à se poser – bien qu’il n’y en avait déjà pas!
C’est sûr que tout cela fait extrêmement peur. Mais ça démontre qu’il faut agir maintenant, faute de l’avoir fait avant.
Parlons donc d’actions : avec un gouvernement du NPD, c’est pour quand la fin du pétrole?
Bonne question. Je ne peux pas répondre immédiatement, mais ce qui est sûr par contre, c’est que comparativement aux Libéraux, on va arrêter les subventions aux pétrolières. Justin Trudeau sait quoi dire, il sait quelles promesses faire, mais une fois élu on voit bien qu’il fait exactement le contraire et répond aux intérêts des grandes pétrolières. On a acheté un oléoduc alors qu’on est en pleine crise climatique, ça n’a pas de bon sens! Nous, on va complètement arrêter ce projet [Trans Moutain].
On veut aussi prendre les 38 milliards $ qui sont dans la Banque de l’infrastructure mise en place par les Libéraux et créer une Banque du climat avec. Ainsi, on pourra vraiment s’attaquer aux changements climatiques, investir dans les énergies vertes et le transport en commun en région, et lancer plein d’autres initiatives.
On va aussi investir tout de suite dans les batteries, car on veut qu’il y ait plus de voitures électriques construites ici. Notre engagement pour l’instant, c’est de réduire de 50 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, par rapport au niveau de 2005. Et être carboneutre en 2050.
2030, c’est dans neuf ans. Comment on y arrive aussi vite?
Justement, on arrête d’investir dans le pétrole! Il faut arrêter de dire qu’on en a encore besoin : si on continue à investir dans le pétrole, on construit un besoin… Une autre chose qu’on veut faire, c’est réviser le Code national du bâtiment pour que tout bâtiment construit à partir de 2025 soit carboneutre.
Par ailleurs, il faut investir dans les choses dont on a vraiment besoin, comme le transport en commun qui est pitoyable dans la région. C’est quelque chose qui m’agace de la part du Bloc québécois : il refuse qu’on investisse dans le transport en commun parce que c’est de compétence provinciale. Le Bloc et les Conservateurs – ils s’entendent bien là-dessus – font la même chose dès qu’on parle de santé ou de logement. Il y a une crise, il faut lutter contre cette crise et arrêter de retomber sur les compétences provinciales pour faire des gains politiques.
Dans sa plateforme, le NPD propose effectivement d’améliorer le transport collectif dans tout le pays, et de faire en sorte qu’il soit plus facile de se procurer un véhicule zéro émission. Par contre, il y n’a rien de contraignant pour réduire le parc automobile, ni pour décourager l’achat de véhicules polluants comme les VUS. Pourquoi?
C’est un bon point. Le NPD mise plutôt sur les avantages, en donnant des crédits aux personnes qui veulent se procurer un véhicule électrique. On a misé sur la carotte plutôt que sur le bâton, même si on pourrait aussi utiliser ce dernier.
Trop souvent, on a tendance à mettre le poids sur le consommateur. Bien sûr, le consommateur a un rôle à jouer, mais le gros des émissions de GES viennent des grandes entreprises, des ultra-riches et non du petit consommateur. Quelqu’un qui fait le choix d’acheter un VUS n’a peut-être pas fait le bon choix, alors il faut faire de l’éducation pour que cette personne comprenne à quoi mène son choix… mais j’ai de la misère avec l’idée de pénaliser le consommateur.
Les choix sont orientés par la publicité. Et les concessionnaires n’offrent quasiment plus que des VUS…
En effet, je pense que le producteur est davantage responsable que le consommateur. La production de VUS, c’est quelque chose qu’on peut regarder.
Il y a parmi vos adversaires une candidate qui prône la décroissance. Dans la plateforme environnementale du NPD, on parle plutôt de création de bons emplois pour bâtir une économie à faible émission de carbone, sans remettre en question le mode de vie occidental qui est ultra-polluant. Le NPD défend donc plutôt la croissance verte?
J’applaudis Noémi de faire campagne sur un terme mal connu. Il y a deux camps dans la décroissance : ceux qui veulent décroître, et ceux (qui m’intéressent davantage) qui disent qu’il faudrait peut-être arrêter de fixer la croissance comme objectif à atteindre à tout prix.
Imaginons qu’on est cinq personnes à une fête, et qu’on se partage un gâteau. L’année suivante, on est 15 à la même fête. C’est une bonne affaire de savoir si le gâteau doit être plus gros… S’il est plus gros, d’autres questions doivent se poser. Est-ce que le gâteau est divisé en parts égales, ou le 1 % prend 50 % du gâteau? A-t-on utilisé un aliment pour grossir le gâteau qui va nous empoisonner? Ce poison, ça peut être les changements climatiques : si la croissance se fait au détriment de la vie des gens, ça n’a pas de bon sens.
Le problème que je vois souvent chez les avocats de la décroissance, c’est qu’ils touchent aux choix particuliers des gens. Oui, ces choix ont un effet, mais ils sont conditionnés par la façon dont la société fonctionne. Tu ne peux dire à quelqu’un du Témiscouata de ne pas prendre son char! Pour moi, c’est une erreur de s’attaquer au consommateur. Les gens sont habitués à un certain style de vie. Ce style de vie n’est pas nécessairement nocif, selon moi : il l’est en ce moment, à cause de la façon dont les entreprises produisent.
Si on avait des transports en commun pour se promener, nos choix pourraient être différents. J’ai habité aux Pays-Bas pendant deux ans. Là-bas, il y a des trains et des bus 100 % électriques, qui fonctionnent avec de l’énergie éolienne, accessibles à toutes les personnes à mobilité réduite. C’est des choix qu’ils ont faits, c’est des choix que nous aussi on peut faire, mais qu’on met de côté pour valoriser les intérêts de ceux qui décident des politiques des Libéraux et des Conservateurs. Il faut donner des choix aux gens pour un meilleur avenir, et s’attaquer à ceux qui limitent ces choix.