
Situé dans le bas du fleuve, la région de Rimouski est un des endroits les plus magnifiques au monde. Se côtoient un large fleuve à l’horizon zen, un littoral venteux et salé, ainsi que des forêts, des rivières et des lacs riches de vie où la truite sauvage qu’on y pêche humilie le saumon d’élevage. Du phare de Pointe-au-Père qui rappelle les plus beaux villages côtiers à travers la planète, jusqu’aux pics du Bic en passant par le Canyon des Portes de l’Enfer à St-Narcisse, ces paysages font de nous des mammifères millionnaires. Rimouski regorge d’humains aussi brillants que créatifs et généreux, tout en assumant son petit côté qui-pète-plus-haut-que-le-trou.
À cet endroit épatant, il y a plusieurs années, nous avons offert le bord du fleuve à la route 132 et ses autos. Aujourd’hui, on poursuit le saccage en y plantant des tours à condominiums de luxe, un hôtel chic et un spa pour privatiser la contemplation fluviale. Quand le client est roi, que reste-t-il du citoyen?
Au sud-est de la ville, on bâtit et agrandit sans cesse « La Cité des achats » qui est un quartier DIX30 version Est du Québec. À Rimouski, à Laval, à Brossard, vous êtes ici partout et nulle part. Le concept de ce genre d’urbanisme, c’est de rassembler au même endroit tout ce que l’Amérique a de plus dégueulasse. C’est une carotte sans nutriment violemment enfoncée au milieu du visage d’un bonhomme de neige fondant. Pas de panique, on peut faire pire. La nouvelle annonce pour développer le développement est de rajouter un Costco à ce lieu déjà surpeuplé de plusieurs dizaines de grosses chaînes commerciales, le tout ceinturé de nouveaux quartiers familiaux. En plein coeur d’un paradis naturel, nos enfants sont élevés avec vue sur les immenses parkings des multinationales et l’horizon de leurs rêves bloqué par les devantures de méga-magasins.
« Comme organisme de développement, on ne peut pas s’opposer à la venue d’un commerce [Costco] à Rimouski. On respecte les lois du marché. »
La Chambre de commerce et de l’industrie de Rimouski-Neigette, juin 2021
Le « développement » proposé par les prédateurs cravatés que sont la chambre de commerce, les élus-es, la SOPER et les médias locaux, en est un de laideur, de béton, d’asphalte, d’aliénation, de chars individuels et obligatoires, de surconsommation, de pollution, de gaspillage éhonté et de détresse psychologique. Le grand paradoxe est de rendre nos milieux de vie spirituellement inhabitable et de nous pousser à voyager loin pendant nos petites vacances. Les habitants et habitantes de la ville doivent s’évader ailleurs ou s’acheter un chalet pour retrouver la beauté et la quiétude qui étaient pourtant données gratuitement et quotidiennement au départ. La classe affaire de Rimouski a comme mandat de fourrer nos yeux et d’éjaculer dans notre cerveau. Ils ont dû couler leur cours de FPS à l’école, car ce n’est pas comme ça qu’on fait des enfants.
« Walmart et Costco sont des champions de détournement de leurs profits dans les paradis fiscaux, donc de très mauvais citoyens corporatifs »
Journal de Québec
« Monsieur Guy Caron s’est dit favorable à la venue de Costco, alors qu’il annonçait sa candidature à la mairie en 2021. »
Journal Le Soir
Un article du journaliste André Noël nous rappelle qu’« un rapport inédit du GIEC prône la décroissance pour prévenir la catastrophe climatique. Une nouvelle vision qui ne parle plus de développement durable et qui s’attaque à l’essence même du système capitaliste. »[1] Le groupe de scientifiques écrit noir sur blanc qu’il ne faut plus compter sur les lois du marché et les technologies pour nous sauver le cul, mais sur des changements radicaux comme abattre la société de consommation et se désengluer du pétrole. Que répond Rimouski à ce fait scientifique? « On va construire un méga-entrepôt Costco en face d’un méga-entrepôt Walmart et d’un hypermarché Super C, où les marchandises, qui proviennent des quatre coins du monde, sont destinées à gaver des consommateurs insatiables en espérant récolter les modestes taxes foncières. » La science nous dit qu’on doit amplifier l’autonomie locale, mais la classe affaire milite pour développer toujours plus les circuits d’approvisionnement mondiaux où le citoyen est totalement impuissant et vulnérable. La pandémie ne nous apprend rien? Les climatonégationnistes de Rimouski privilégient le charlatanisme du mirage Costco aux recommandations d’une armée de scientifiques. Notre ville, pourtant universitaire, renie les études sérieuses pour se dévouer au mysticisme et à la pensée magique de la « libre » entreprise. C’est dire qu’à l’époque, nos conseillers municipaux auraient brûlé Galilée pour mieux s’agenouiller devant le Pape. D’ailleurs, il y a encore une immense croix catholique accrochée au mur de la salle du conseil, juste en haut du maire.
« La société féodale est une pyramide : tout en haut, le roi est le seigneur des seigneurs. Ensuite viennent les nobles et les évêques. Tout en bas, les paysans. Chaque serviteur rend hommage à son seigneur : il prête le serment de fidélité. »
Lorsque le maire va jusqu’à dire que « la décision de venir ou pas à Rimouski est entièrement entre les mains de l’équipe de direction de Costco, qui a tous les outils pour le faire », on se demande qui détient les pouvoirs dans la cité? Qui est le seigneur des seigneurs? Pourquoi les élus agissent-ils en lobbyistes? Pourquoi négligent-ils leur rôle de représentants des citoyens et citoyennes? À qui prêtent serment de fidélité nos élus et élues? Quelle valeur a la Déclaration d’urgence climatique pour ses signataires? Comment oser accueillir le rouleau compresseur des multinationales et en même temps prétendre protéger nos commerces locaux et la culture du bas du fleuve? Le maire Parent voit-il dans la construction d’un Costco son minable legs à la postérité? Est-ce que ces rapports de pouvoir changeront avec la prochaine élection?
La classe affaire appelle ça, le progrès. Mais où nous mènera ce progrès? Nos enfants pourront acheter des kilomètres de corde au Costco pour se pendre à la plus haute branche de leur arbre généalogique. Plus personne n’aura d’argument pour les en empêcher. Leurs parents seront déjà morts de honte depuis longtemps. La sagesse ancestrale nous dit qu’il faut l’amour d’un village pour élever un enfant, mais le progrès lui donne une Cité des achats. Développez-vous les uns les autres comme je vous ai développés, sermonne le maire Parent, auréolé de signes de piasse, se prenant pour un vieux Christ, à l’abri dans sa demeure de luxe haut de gamme à L’Anse-au-Sable, situé bien loin de ce développement. Pourquoi la classe dirigeante n’habite-t-elle pas les quartiers qu’elle développe avec tant d’enthousiasme? Pourquoi le panoramique autour de leur belle résidence demeure-t-il vierge et pur? Ce qui est bon pour la noblesse féodale ne l’est pas pour la plèbe?
Pour compenser les multiples sources de pollution d’un nouveau Costco, faudra-t-il incendier l’hôtel de ville où des accommodements anti-sciences sont votés par des élus corrompus qui favorisent des projets mettant en danger notre santé, notre bonheur, l’avenir de nos kids et la biodiversité? Toute lutte écologique citoyenne et cohérente devra envisager d’abolir la propriété privée, de réquisitionner les grandes entreprises[2] et de brûler la laideur pour que fleurisse la beauté du monde.