Le blogue du rédac

Il se bat pour son droit de refuser un traitement

Par Rémy Bourdillon le 2021/09
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Le blogue du rédac

Il se bat pour son droit de refuser un traitement

Par Rémy Bourdillon le 2021/09

Assis à une table à pique-nique, Guillaume parle d’un ton rapide. C’est le désespoir qui l’a poussé à venir nous raconter son histoire, mais aussi la colère contre le CISSS du Bas-Saint-Laurent, qui veut lui administrer un traitement à base d’antipsychotiques sans son consentement. Et même pouvoir le faire interner 30 jours, en utilisant la force si nécessaire, alors qu’il ne représente aucun danger ni pour autrui, ni pour lui-même.

Guillaume, ce n’est pas son vrai prénom : il veut conserver l’anonymat, car il ne veut pas passer pour un fou, dans la ville où il vit. S’il juge important de parler de ce qui lui arrive, c’est parce qu’il croit qu’ils sont plusieurs à vivre ou avoir vécu la même chose.

« Depuis 2017, j’ai des problèmes avec mon pancréas. Ça fait quatre ans que je me bats pour savoir ce que j’ai », commence-t-il en décrivant des symptômes extrêmes, qui lui font souffrir le martyre : des spasmes au pancréas, la sensation que son foie va s’arracher et que des grumeaux circulent dans ses veines. Son corps n’est plus capable d’absorber les nutriments des aliments, dit-il, à tel point qu’il a perdu 60 livres en deux mois l’an dernier. Il a adopté un régime strict à base de produits faciles à digérer comme du riz, du bouillon de poulet ou des bananes. « J’ai failli mourir six fois », jure cet homme de 34 ans, persuadé qu’il n’atteindra pas la quarantaine.

Le corps médical a une tout autre interprétation : selon plusieurs médecins, Guillaume est hypocondriaque, et c’est un psychiatre qu’il devrait consulter. Cela a causé des situations tendues : plusieurs fois, il s’est présenté aux urgences en crise, et n’a pas été assisté à la hauteur de ses attentes. « J’aurais dû être hospitalisé, mais ils ne me prenaient pas au sérieux et ils me renvoyaient chez moi », raconte-t-il. Une expérience traumatisante : « C’est comme si j’étais à terre et qu’on me garrochait des coups de pied sur la gueule. »

Un trouble sévère diagnostiqué en 45 minutes

En 2020, Guillaume déménage au Bas-Saint-Laurent. Un jour, perclus de douleur, il appelle le CLSC. La conversation tourne mal : « Je n’allais pas bien dans mon corps, et ça paraissait dans ma voix. J’étais agressif, j’étais en colère. Je te parlerais comme ça aujourd’hui, tu aurais peut-être un peu peur de moi », reconnaît-il. À l’autre bout du fil, « ils m’ont pris pour un malade mental ».

On lui assigne alors un travailleur social, avec qui il se vide le cœur à plusieurs reprises. « J’avais besoin de crever l’abcès, c’était pas beau à voir. » Cet employé du CISSS lui conseille également d’aller vers un psychiatre. Ce qui finit par arriver, après une énième visite à l’hôpital suite à un malaise : « La médecin de garde refusait catégoriquement de prendre en compte les symptômes physiques que j’avais, assure Guillaume. Elle me disait que les seuls soins qu’on pouvait me donner étaient de niveau psychiatrique. »

Il se pointe donc le lendemain, 8 juin, devant le docteur Emmanuel Tremblay à Rivière-du-Loup. La rencontre ne dure que 45 minutes, au terme desquelles le psychiatre lui diagnostique un trouble délirant de type somatique sévère – autrement dit, de l’hypocondrie de haut niveau. Le psychiatre veut hospitaliser Guillaume sur-le-champ, ce dernier refuse, s’emporte, traite le spécialiste de « deux de pique ».

Vendredi 11 juin, un huissier vient lui porter une lettre pour le convoquer au tribunal. Le CISSS demande à la Cour supérieure une ordonnance de traitement contre son gré, d’une durée de trois ans. Si nécessaire, le CISSS souhaite pouvoir le garder de force à l’hôpital pour 30 jours, et obtenir l’aide de la Sûreté du Québec pour ce faire.

En d’autres termes, on veut priver Guillaume de son droit fondamental de refuser un traitement médical. Pourtant, c’est écrit en toutes lettres dans le rapport du docteur Tremblay : il n’est pas dangereux. « [Le travailleur social] nous nomme toutefois ne pas percevoir de dangerosité immédiate […] alors que monsieur n’a pas tenu de propos suicidaires ni hétéro-agressifs ».

Pourquoi, alors, vouloir forcer Guillaume à recevoir des soins sans son consentement? Car, selon ce qu’écrit le psychiatre, son trouble psychotique « conditionne les comportements de monsieur, c’est-à-dire déménagement et invalidité » – il a arrêté de travailler en raison de son état de santé. Puisqu’il ne reconnait « ni les bénéfices potentiels d’un traitement ni les inconvénients de ne pas être traité », il faudrait lui forcer la main.

Un « piège » tendu par le CISSS?

Après la visite de l’huissier, Guillaume vit le week-end le plus stressant de sa vie. Il fait des lectures sur les effets secondaires des antipsychotiques qu’on entend lui imposer, ce qui ne le rassure pas : « Il y en a qui peuvent me rendre diabétique. Le diabète, c’est quoi? C’est le pancréas! Mon pancréas est déjà magané. Quand j’ai vu ça, j’ai capoté. » Et ressenti, encore une fois, le sentiment de ne pas être écouté.

Le lundi, il se dégote un avocat. « Si je n’avais pas eu les moyens de me le payer, je serais interné en ce moment. » Devant la Cour supérieure, le CISSS fait une proposition : il suspendra les procédures judiciaires si Guillaume accepte d’être évalué par un autre psychiatre du Centre hospitalier régional du Grand-Portage de Rivière-du-Loup, en l’occurrence le docteur Jean-François de la Sablonnière.

Mais quelle n’est pas la surprise de Guillaume quand il constate, en consultant son dossier médical sur Carnet santé Québec, que M. de la Sablonnière y a facturé quatre consultations, dont deux avant même qu’il ait rencontré Emmanuel Tremblay!

Pour Guillaume, les choses sont claires : les deux psychiatres ont déjà parlé de lui et se sont faits leur opinion. Il n’y a donc aucune chance que le deuxième désavoue les conclusions du premier. Il écarte du revers de la main la proposition de contre-expertise, y voyant un « piège » du CISSS, en qui il a perdu toute confiance.

Le CISSS ne souhaite pas présenter sa version du dossier. « C’est une relation de patient à médecin, jamais un médecin ne va commenter ça », déclare simplement le responsable des relations avec les médias, Gilles Turmel.

Un gastro-entérologue se penche sur son cas

En revanche, l’avocat de Guillaume a obtenu un délai de trois mois pour lui faire mener une contre-expertise par un autre psychiatre. Dans quelques jours, il ira donc consulter à Chicoutimi. Il jouera gros : suite à cette rencontre, si tout va bien, il pourrait reprendre, un peu, le contrôle sur son corps…

Guillaume assure que depuis son passage en cour, il y a du mieux côté santé. Il commencerait même à voir la lumière au bout du tunnel : en passant par le privé, il a réussi à obtenir un rendez-vous avec un gastro-entérologue à Laval, début juillet. « Il m’a écouté et il est en train de faire des examens pour voir si j’ai une insuffisance pancréatique. Il m’a donné de l’insuline, et depuis que j’ai ça, je n’ai plus de spasmes au niveau du pancréas et je me sens beaucoup mieux. »

Il a réussi à reprendre un peu de poids, et cela affecte positivement son humeur, soutient-il. Quand il nous parle, il hausse encore le ton, frustré de ce qui lui est arrivé, mais plus comme avant selon lui : « C’est sûr que quand j’allais à l’hôpital, je n’agissais pas de façon normale. J’étais en panique, j’avais peur pour ma vie. Comment quelqu’un va réagir face à la mort? Personne ne le sait… »

Il croit toujours dur comme fer qu’elle viendra bientôt, la mort. Pour l’instant, il veut surtout la paix, et qu’on respecte ses droits, lui qui assure ne causer de trouble à personne. Son sort sera décidé sous peu, mais une question reste en suspens : s’il est vraiment hypocondriaque, en quoi lui imposer un traitement qu’il juge néfaste pour sa santé pourrait bien arranger les choses?

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