
« Ce n’est donc pas un cri du cœur sur l’avenir-de-la-planète que vous lisez, je pense que nous sommes cuits. »
Patrick Lagacé, La Presse, 2 septembre 20211
Quand le chroniqueur vedette de La Presse écrit sur l’écologie, appelez l’ambulance.
Si Lagacé peut pondre des textes appréciables sur certains sujets, parfois, force est de constater que le thème de l’écologie n’en fait pas partie. Il ne faudrait pas que la star perde de sa superbe devant un combat mené par des rêveurs émotifs irrationnels. Si certains segments de cette chronique sont pertinents (en particulier les bouts où il se moque de la déclaration du chef du Bloc qui affirmait que le 3e lien peut être écologique), c’est pour mieux nous rabattre ensuite vers une fatalité climatique dont seuls les dieux ont le secret.
Cet été, le rapport du GIEC nous disait que, selon nos actions politiques, différents degrés de cuisson sont à prévoir. Mais qu’importe : « Je pense que nous sommes cuits », ainsi parla Zarathoustra Lagacé, oracle vedette de l’info.
Je me pose deux questions à propos de l’affirmation « nous sommes cuits ». Qui est ce « nous » ? Que signifie ici le mot « cuit » ?
Cuit comme dans brûlé, comme dans ti-poulet rôti, comme dans bande de guimauves connes en feu, comme dans fin du monde, comme dans trop tard, comme dans c’est ça qui est ça, comme dans animateur vedette avec des lunettes fumées en vacances sur une île grecque, cuit comme dans j’ai le privilège de profiter encore de la vie, cuit comme dans pas tous grillés égale, cuit comme dans « en Afghanistan, la crise climatique a favorisé la montée des talibans. Les sécheresses et inondations contribueraient à inciter les paysans à suivre les talibans. Le groupe a les moyens de payer les combattants entre cinq et dix dollars par jour, plus que ce qu’ils peuvent gagner dans l’agriculture. »2
Patrick Lagacé est un homme, blanc, riche et populaire. Nous savons que les premiers qui meurent et qui souffrent à cause de l’écocide sont les pauvres, les exclus, les personnes racisées, les enfants et les femmes. Donc, qu’il se rassure le nanti monsieur caucasien, c’est pas lui qui va cuire en premier. C’est pour ça que le chroniqueur peut se permettre d’adopter une posture cool face aux catastrophes naturelles : il ne les subit pas encore, il les contemple dans le luxe. Il hume le BBQ en écrivant confortablement pour un journal qui vit grâce aux publicités de VUS, de voyages en avion abordables et de Club Med Québec Charlevoix.
On pouvait lire dans le Devoir du vendredi, sous la belle plume d’Aurélie Lanctôt, « qu’en décembre 2020, une étude parue dans Environmental Research Letters étudiant l’exposition à la pollution de l’air dans les grandes villes canadiennes démontrait qu’autant à Vancouver, Toronto et Montréal, les populations pauvres, immigrantes et autochtones étaient beaucoup plus exposées aux polluants dans l’air. »3 Cuit comme dans défavorisées steamées.
Faque non, Patrick, t’es pas cuit. Tu vas t’en sortir, mec. T’as même de belles années devant toi. T’as encore les moyens d’augmenter l’air climatisé de ton environnement en poussant un bouton, de déménager si le quartier devient trop chaud et dangereux, de faire ton épicerie où il ne manque de rien, de participer à des émissions de télé funnées et de voyager en mode éco-touriste responsable. Le racisme environnemental, le sexisme environnemental et l’injustice environnementale travaillent pour toi en t’épargnant la couenne. Tu vivras vieux et heureux. Nous est un autre.
Mais tu pourrais contribuer largement à modifier la cuisson. Au lieu de simplement faire la liste d’épicerie des catastrophes naturelles, tu pourrais dans tes nombreuses tribunes médiatiques parler à chaque jour des ravages du capitalisme et de ses armes, suggérer des livres et des documentaires en lien avec l’écologie de la libération, interviewer des militantes et militants radicaux, inciter à la révolte, tu pourrais aussi faire la promotion de l’idéologie décroissantiste « produire moins, partager plus, décider ensemble », à l’image de l’inspirante Noémi Bureau-Civil, candidate indépendante dans Rimouski-Neigette à l’élection fédérale.4 (Je vous invite à la découvrir) TU pourrais NOUS expliquer ce que veulent dire ces trois petites indications « produire moins, partager plus, décider ensemble », qui ont le potentiel de tout changer radicalement.
Dans la même chronique (et oui, la même, il a travaillé fort, ça va se coucher tôt ce soir et être raqué demain matin), Zarathoustra Lagacé prophétise encore : « Vous ne lisez pas le cri du cœur d’un chroniqueur climato-anxieux. Je le suis de plus en plus, oui, mais je suis surtout climato-résigné. Comment tous les intérêts divergents de cette planète peuvent-ils s’unir pour larguer rapidement le carbone de l’activité humaine? C’est un défi logistique qui m’apparaît impossible à relever. » Comme on dit pendant un match de soccer où on perd 4 à 0 : « Ceux qui pensent que c’est impossible sont priés de ne pas déranger ceux qui essaient ».
Cher journaliste climato-cool-résigné, si nous sommes cuits comme dans fin du monde, nous savons aussi qu’on n’aura pas tous la même fin et en même temps.
Qu’est-ce que la fin du monde pour des personnes âgées en canicule?
Qu’est-ce que la fin du monde pour l’ours polaire, le béluga et le caribou?
Qu’est-ce que la fin du monde dans l’oeil d’un pissenlit sur un carré de pelouse à Boucherville?
Qu’est-ce la fin du monde à bord du tout nouveau Wonder of the Seas, le plus gros paquebot de croisière de la planète pouvant accueillir 9000 personnes ?
L’imaginaire bourgeois parle de cuisson en confondant fin du monde et fin de la civilisation. Mais pour la majorité des vivants, la civilisation industrielle est une fin du monde planifiée et bien organisée, et la fin de cette civilisation-là serait plutôt le début souhaité d’un nouveau monde. La fin du monde se déroule présentement et se pleure au pluriel. L’ultime combat est de rendre la fin du monde équitable.
Évidemment Patrick, j’imagine bien que tu es au courant de tout ça et que ça ne te laisse pas indifférent. Je t’ai même déjà vu pleurer à la télé, une fois. Mais, mal nommer les choses, jugeait Camus, c’est ajouter au malheur du monde. Tu as déjà écrit que « la désinformation tue ». Je rajouterais que les faux prophètes aussi.
[1] https://www.lapresse.ca/actualites/chroniques/2021-09-02/l-environnement-ce-n-est-pas-important.php?utm_source=facebook&utm_medium=social&utm_campaign=algofb&fbclid=IwAR0iJc5HWteb1uYXwa7RFISrJ6v10qHff1TgHp1pZnTAgWPOgsr2yTTo0XY
[2] https://reporterre.net/En-Afghanistan-la-crise-climatique-a-favorise-la-montee-des-talibans
[3] https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/629511/chronique-pour-les-riches-les-arbres?fbclid=IwAR00Hp_zeOUlCtVjzww-4j18AmpHeV1Ix3xYyRZFsRuzLSom4K6NKcBGOyA
[4] https://noemibureaucivil.org