
« Les câlins peuvent faire beaucoup de bien, surtout pour les enfants. »
Princesse Diana
Le passé n’est pas terminé. Les charognards rodent, affamés et souriants.
Parlant de charognards, TVA, l’empire des dents blanches, titrait le 12 aout 2021 : « À 12 ans, elle se lance sur le marché du travail »[1]. En lisant ça, je me suis dit pauvre elle, comment ça se peut qu’une enfant soit obligée de travailler? Inacceptable! Heureusement, les médias dénoncent cette situation épouvantable.
Grand naïf, je suis.
La première ligne du reportage m’a glacé le sang : « Aussi bons que les adultes. » De quessé? Le média réactionnaire explique : « Face à la pénurie de main-d’œuvre actuelle, les jeunes représentent une opportunité intéressante pour les employeurs, ils sont énergiques et très appliqués à la tâche. » Une affirmation qu’on aurait pu entendre dans une manufacture européenne des années 1830. Le terme « les jeunes » est utilisé ici comme euphémisme pour parler d’enfants de 12 ans. On nous dit que faire travailler des enfants pour enrichir les patrons est « une opportunité intéressante ». Ci-boi-re. C’est une des choses les plus violentes que j’ai lues cette année, malgré la pandémie, la chute de Kandahar et le retour de Denis Coderre. Profitant de l’occasion, est-ce que les Chambres de commerce vont nous vendre cette idée en louangeant l’aspect « inclusif » ? Ça suffit la discrimination des enfants sur le marché du travail, on veut la parité : 50% d’adultes, 50% d’enfants. Leurs petites mains peuvent accomplir des miracles! Ils apprendront les valeurs du travail comme l’obéissance à l’autorité, la soumission aux conditions imposées, l’autonomie monétaire et la métabolisation des horaires industriels.
La « très jeune », comme l’appelle TVA dans son reportage, ne travaille pas pour un truc familial, pour une jobine sympathique ou pour donner un coup de main à un voisin, mais bien comme salariée pour une entreprise. La chargée de projet pour l’entreprise en question nous explique les bienfaits : « On voit qu’ils ont envie de travailler, ils s’appliquent. Ils ont l’air moins blasés du marché du travail ».[2] Le «ils», ici, fait référence aux enfants. Elle nous vente le travail d’enfants rigoureux qui s’appliquent à l’ouvrage avec enthousiasme. Think big, sti. S’inspirant de la Modeste Proposition de Jonathan Swift, elle nous proposera peut-être de régler simultanément la pauvreté et la famine en mangeant les enfants des pauvres. On pourra même apprendre à ces enfants à s’auto-cuisiner : bouchers le lundi, hors-d’oeuvres le samedi. Grâce au réchauffement climatique, on les aura même steamés naturellement au coin des rues.
Déjà en juillet 2018, TVA banalisait l’exploitation des poussinots et des poussinettes : « Un restaurant de Québec a embauché plusieurs adolescents de 12 à 14 ans pour faire face à la pénurie de main d’œuvre qui prévaut dans cette industrie. »[3] Comme seule «critique», le chef d’antenne questionnait une psychoéducatrice, sans doute sur les amphétamines, qui affirmait que : « Le principal risque c’est que ces jeunes développent une maturité précoce. Ça va demander un bon encadrement car le milieu de la restauration c’est un milieu très rapide et très exigeant. Ça va être important de ne pas mettre trop de pression sur les petites épaules des jeunes. Il faut s’assurer que les heures de travail ne sont pas trop prolongées. Ils ont besoin de sommeil. Il faut s’assurer qu’ils ont des pauses fréquentes aussi». » Ah, ok alors! Y’a rien-là. Donc, on peut mettre de la pression et prolonger les heures de travail des enfants, mais juste pas « trop ». L’exploitation éthique déposée sur les petites épaules. J’ai moi-même travaillé en restauration à l’âge adulte de 21 ans. Et malgré ça, je me suis fait exploiter, blesser et on m’a manqué de respect sans savoir que cela n’était ni normal, ni acceptable. La restauration est un environnement de travail dangereux. Mais j’imagine que ces mini-Michel Chartrand précoce de 12 ans vont défendre leurs droits syndicaux le poing levé? « Petits prolétaires de tous les pays, unissez-vous! », clament déjà la marmaille révolutionnaire du Québec inc. au rack à bicycles.
Mais le travail d’enfants est illégal, me direz-vous? Non. Au Québec, la loi n’indique pas d’âge minimal pour travailler. Il suffit d’une autorisation parentale pour permettre à un enfant de 14 ans et moins d’être embauché par une entreprise.
« Les enfants commencent par aimer leurs parents ; devenus grands ils les jugent, quelquefois ils leur pardonnent. »
Oscar Wilde
À l’époque où j’étais moniteur de terrain de jeu l’été, je ne savais pas que je nuisais à la prospérité du Québec. Je m’occupais de jeunes fainéants de 12 ans et moins sans emploi. Comme des BS précoces, on chantait des comptines, on se baignait, on faisait du sport et du bricolage, on rigolait, sans REER. Visiblement, selon TVA, on nuisait à la croissance du PIB. Ces cabotins perdaient leur temps, n’investissaient pas dans leur capital-humain, n’engraissaient pas leur CV, n’emmagasinaient pas d’expériences utiles pour leur avenir professionnel. Des enfants, ça doit travailler toute la journée, et le soir venu, lire le livre de Pierre-Yves McSween « Liberté 45 ». En effet, le radical comptable nous vend l’idée dans son bouquin que « La liberté financière dès 45 ans, c’est le but que tout jeune adulte doit viser. » Quel beau projet de société excitant. Ronald Reagan en ce moment bande sous-terre. J’imagine que travailler à 12 ans comme une fourmi lucide au lieu de faire du vélo comme une cigale insouciante est une valeur qu’approuve la vedette fiscale.
« Les enfants sont la chose la plus précieuse dans la vie. »
Elvis Presley
Comment évoluera cette prise de position en faveur du travail chez l’enfant? Est-ce que les parents qui enverront leur enfant jouer dehors l’été seront perçus comme des mauvais tuteurs? Des parents égoïstes qui regarderont couler nos précieuses entreprises sans main-d’oeuvre vierge? Parce que si tous les adultes sont libérés du travail à 45 ans, faudra bien que les enfants comblent les besoins.
Qui dit travail, dit compte en banque, dit crédit, dit consommateur, dit dettes, dit remboursement de dettes, dit responsabilité, dit prospérité, dit réussite, dit pression, dit burn out, dit dépression, dit voyage tout-inclus, dit croisière, dit suicide avant 30 ans. Bingo!
Soyons nuancés. Y’a des avantages à faire trimer les kids. Contrairement aux employés paresseux d’Amazon qui pissent deux à trois fois par jour dans leur bouteille en plastique de bourgeois, et bien, les enfants de 12 ans, eux, avec leur vessie musclée en santé peuvent se retenir plus longtemps et ainsi ne pas ralentir la cadence de la machine à cause de lubie urinaire. Anyway, je ne suis même pas certain que ça boit de l’eau un enfant. Un verre de Kool-Aid bleu par semaine pis c’est tiguidou! En fait, le message qui se cache derrière tout ceci s’adresse aux travailleurs lambdas : « Si même un enfant peut le faire, pourquoi tu te plaindrais? »
Toujours dans l’article du 12 aout 2021, TVA poursuit son militantisme en faveur du travail des enfants : « Si l’aide des jeunes filles a permis à la gérante de souffler un peu, cette dernière appréhende la rentrée et la fin de contrat de ses nouvelles associées. » Qualifier des enfants « d’associées » doit être vue comme une forme de pédophilie néolibérale. La gérante de l’entreprise rajoute : « Là, c’est super on a les jeunes pour cet été, mais ils vont recommencer l’école, le secondaire, le Cégep et là, on va avoir besoin de main-d’œuvre, mais qu’on ne trouvera pas ». Maudite éducation! L’osti de retour à l’école! Celle-ci volera la main-d’oeuvre docile aux entreprises. A-t-on vraiment besoin d’un diplôme quand on a un permis de conduire? Heureusement, ici à Rimouski, certains élus municipaux envisageraient de retarder le retour à l’école d’août, car cette dernière pioche dans les jeunes travailleurs et travailleuses de l’industrie du tourisme. La scolarisation nuit au tourisme? Fuck the school. Un ami à moi qui travaille dans une école me confirmait que le travail chez les jeunes étudiantes et étudiants nuit non seulement à l’éducation, mais remplace aussi les activités parascolaires.
« Pénurie de main d’œuvre : des jeunes travailleurs victimes d’intimidation de la part de clients impatients. Une première expérience de travail pour ces jeunes, âgés de 12-13 ans… qui est loin d’avoir été toujours facile. », annonce TVA dans un autre reportage dans le milieu de la restauration.[4] « Ils sont impatients, quand c’est long. Ils ne me respectent pas, pour vous dire », témoigne le serveur à peine âgé de 13 ans. Le propriétaire du restaurant acquiesce : « Quand c’est un jeune de 13, 14, 15 ans qui a fait ta commande, puis qu’il est ici pour la 37e heure cette semaine, alors qu’il pourrait très bien rester chez eux puis profiter de ses vacances d’été qu’il n’a pas eu parce qu’il est ici à travailler, il y a une manière de lui dire, si jamais il y a quelque chose. » Tout est déplorable dans cet extrait : le patron, les clients, le média, la société. Même si les clients étaient des anges, faire travailler un kid d’à peine 13 ans, 37 heures et plus dans un resto l’été, c’est crissement pas normal. Au pire, ferme-le ton resto si t’es en manque de staff, ou brûle-le pour récolter les assurances.
Alors que certains leaders syndicalistes intègrent les partis politiques capitalistes, le salariat, lui, se radicalise. La révolution conservatrice qui se joue nous donne des enfants entrepreneurs, c’est-à-dire des enfants privés d’enfance. Pourtant, la première chose qu’on m’a enseignée lorsque j’ai commencé à travailler avec les jeunes, c’est qu’un enfant n’est pas un adulte de 4 pieds.
Un autre article à propos du travail des enfants, paru dans le journal Le Monde, est moins optimiste. Le journal nous apprend qu’ « en 2020, ils étaient 160 millions forcés de travailler, soit 8,4 millions de plus qu’en 2016. Une tendance inquiétante alors que la pandémie pourrait amplifier cette régression. »[5] Bref, le Québec ajuste simplement ses valeurs pour demeurer compétitif sur le marché de la mondialisation. L’ONU avertit que la situation risque de se dégrader encore si rien n’est fait pour aider les familles qui plongent dans la pauvreté. L’ONU, c’est juste une bande de chiâleux d’extrême gauche sur la PCU, diront les vaillants entrepreneurs soutenus par la Chambre de commerce. « Plus inquiétante encore, nous dit Le Monde, est la progression du nombre d’enfants de 5 à 17 ans qui font un travail dangereux, c’est-à-dire qui peut avoir un effet direct sur leur développement, leur éducation ou leur santé. Une catégorie qui comprend des secteurs dangereux, comme les mines ou la pêche, ou encore le fait de travailler plus de quarante-trois heures par semaine, ce qui rend toute scolarisation quasi impossible. » Faque nos enfants d’ici, qui travaillent dans des milieux « sécuritaires » ou presque, sont des privilégiés comparés à ailleurs. Nous en Occident, nos mineurs ne travaillent pas dans les mines. Merci boss.
Après tout, jouir du labeur d’enfants québécois, c’est consommer local, non? Combien de corps d’enfant peut contenir le panier bleu?
« Aucun enfant sur cette planète ne devrait payer le prix de la souffrance d’un adulte. »
Roxanne Bergeron
[2] https://www.tvanouvelles.ca/2021/08/12/a-12-ans-elle-se-lance-sur-le-marche-du-travail
[4] https://cimtchau.ca/nouvelles/penurie-de-main-doeuvre-des-jeunes-travailleurs-victimes-dintimidation-de-la-part-de-clients-impatients/?fbclid=IwAR2YA0Df5t3KSdK5pNfF41MsbvAumVU5PjkZs4RA56BKeMKuajp-5-3vtzM
[5] Le Monde, « Le travail des enfants en recrudescence pour la première fois en vingt ans », 10 juin 2021.