Cette chronique est peut-être la dernière que je rédige depuis ce coin de pays où je les écris maintenant depuis plus de vingt ans. Les contraintes sont devenues trop nombreuses. Le poids des ans impose son tribut : les aspects négatifs de cette vie campagnarde dament aujourd’hui le pion aux bénéfices qu’on peut en tirer. En effet, malgré ce qu’on pourrait en penser, la vie en campagne n’est pas toujours un long fleuve tranquille. Félix l’écrivait déjà dans sa « Chanson des colons » : « Et des mouches et des souches et des frouss’s à la tonne… »
Bien sûr nous ne sommes plus au temps de la colonisation ni à l’époque de la misère noire. Pourtant l’homme continue à créer lui-même les conditions de son aliénation. Et alors que la vie rurale apparaît pour certains comme un havre bucolique, cette civilisation du profit à tout crin cherche à détruire et à contaminer le socle même de ce sur quoi devraient reposer la santé et le bien-être des populations. Devant chez moi, un vaste champ qui fait des dizaines d’hectares. Il est la propriété d’éleveurs de porcs qui habitent à des dizaines et des dizaines de kilomètres. Depuis que je suis ici, aucun labour, aucun chaulage, aucun apport de matière organique autre que le lisier qui en contient bien peu. Au moment où j’écris ces lignes, ce champ me fait penser à la mer Morte : jaune, inerte, sans vie apparente. Les seules opérations qu’on y pratique, année après année : hersage rapide en surface pour casser la croûte, épandage à la grandeur du périmètre d’un herbicide pour le contrôle préventif des « mauvaises herbes », semis (grain ou canola), lisier versé en abondance. On récolte à l’automne et à la prochaine! La terre vue comme une matrice industrielle, une poubelle à profits.
Ces producteurs de porcs doivent absolument se débarrasser du lisier qui s’accumule durant l’hiver et de plus en plus de cultivateurs font appel à leurs services. De plus, cette pratique a maintenant cours tout au long de la belle saison. Avant la fenaison, après une première coupe, à la suite d’une seconde coupe, avant l’hiver… si bien que notre magnifique région est constamment noyée dans cette pestilentielle senteur qui nous empoisonne l’existence. Un barbecue en famille? Une noce dans un site enchanteur? Nous avons tous vécu la hantise que ces fêtes ou ces rassemblements soient assombris par un épandage intempestif.
Le plus paradoxal dans cette histoire, c’est qu’à partir du milieu du XIXe siècle, à une époque où les égouts à ciel ouvert pullulaient dans les grandes villes et où les déjections de toute nature se retrouvaient dans la rue, ceux qui en avaient les moyens fuyaient cette atmosphère putride pour se réfugier en campagne. C’est notamment ainsi qu’est née la villégiature au Bas-Saint-Laurent. Les gens venaient chez nous pour respirer un air pur, et sain! Plus récemment, la Loi sur le patrimoine culturel définit et protège le « paysage culturel patrimonial », c’est-à-dire certains des éléments de notre environnement caractérisés par l’intervention humaine, mais qui se démarquent par leur beauté ou par une intégration particulièrement réussie. C’est ainsi qu’on peut par exemple admirer le soleil couchant des hauteurs de Saint-Germain-de-Kamouraska avec une vue magnifique sur les champs, l’église du village en contrebas et le fleuve en arrière-scène. Mais vous remonterez rapidement les glaces de la voiture si ces mêmes champs ont été la veille inondés de purin! Pas fort pour le tourisme. On parle de pollution visuelle. De pollution sonore. Pourquoi pas un concept de pollution olfactive? Et que pense la Santé publique de cet air vicié qu’on nous force à respirer?
Les lilas viennent à peine d’ouvrir que déjà les tracteurs se succèdent à un rythme fou, traînant de lourdes citernes sur roues d’où s’échappent déjà ces odeurs dignes de votre puisard. Le dérèglement climatique fait qu’on passe du gel à la canicule en moins de 24 heures. Les fleurs du marronnier apparaissent alors même que les feuilles ne sont pas encore totalement déployées. Des vents déments cinglent de toutes parts, arrachant la toile de la serre, menaçant les bâtiments et les arbres plus fragiles. Non. Trop c’est trop. Plus capab’ de suivre la parade. Que deviendra le « faux docteur de campagne » s’il doit fuir son habitat?
La suite au prochain numéro…