Champ libre

Noir métal : à l’ombre des épinettes matapédiennes

Par Marilie Gagnon le 2021/08
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Noir métal : à l’ombre des épinettes matapédiennes

Par Marilie Gagnon le 2021/08

Ayant récemment terminé la relecture de Kamouraska d’Anne Hébert, j’étais heureuse de découvrir une nouvelle œuvre dans laquelle les territoires bas-laurentiens sont à l’honneur. Publiée aux éditions Alto en mai dernier, la fiction Noir métal de Sébastien Chabot nous transporte à Sainte-Florence, village natal de l’auteur situé dans la vallée matapédienne. Mais ce village bordé de conifères, aux dehors paisibles et innocents, cache un cortège d’adeptes de magie noire, de bêtes mutantes et d’individus aux mœurs dépravées. Églises profanées, cimetières vandalisés et forêts polluées par les déversements d’une usine locale, la Matapédia que l’on croit reconnaître nous file entre les doigts à chaque page. Aussi déjanté que les personnages, le territoire dans Noir métal rappelle le fleuve tempétueux des Fous de Bassan et fournit un univers apocalyptique dans lequel un récit de vengeance émerge.

18 octobre : Sebastian, un chanteur de black metal, revient dans son village natal pour affronter le Général Knut Sebastiansen, maître d’une secte qui exploite de jeunes enfants, le Vita Cirkeln. Dans sa quête, le protagoniste est assisté par Eva, une petite fille aussi vive que vulgaire dont l’enfance tourmentée rappelle celle de Sebastian. Bien que cette fiction ne cherche pas à renouveler le récit de vengeance typique, des intrigues secondaires ajoutent une profondeur à la trame principale en abordant des problèmes actuels tels que les catastrophes environnementales, la corruption des figures d’autorité et la violence faite aux enfants. Récit de vengeance, mais aussi roman policier, drame familial et écologique, Noir métal fracasse le cliché de la p’tite vie tranquille dans un p’tit village paisible. Avec créativité, Sébastien Chabot s’inscrit dans la lignée des écrivains nationaux tels que Victor-Lévy Beaulieu tout en renouvelant l’écriture du territoire bas-laurentien. Les jeux paronymiques (Sebastian, Sebastiansen) révèlent les pseudo-origines scandinaves et amérindiennes des Matapédiens qui, dans Noir métal, seraient descendants des Vikings et des Micmacs. Dans le cadre d’une fiction qui frôle la dystopie, l’écrivain explore le territoire matapédien en alliant l’imaginaire québécois à l’imaginaire scandinave par une narration ironique traversée d’expressions colorées.

Si le récit baigne dans une ambiance glauque, l’écriture sensible de l’auteur introduit quelques éclaircies au fil du roman. Trame sonore et iconographie du récit, le black metal en est un bon exemple. Maquillages à la Marilyn Manson, messes noires et intérêt pour la taxidermie rappelant les controverses d’Ozzy Osbourne, le black metal inspire l’univers lugubre du récit. Mais cette imagerie traduit aussi une conscience aiguë des misères humaines. Muet depuis les agressions du Vita Cirkeln, Sebastian ne recouvre la parole que par le chant typique du black metal : « Sebastian […] expulsa de l’air pour moduler un cri retenu dans sa gorge qui fit vibrer son visage et il chanta ce que les arbres morts avaient encore à dire. Il chanta et chanta encore, et la dysharmonie de l’automne s’accorda parfaitement au désordre humain. » Le scream, par ses accents âpres et rudes, devient le seul moyen d’expression d’une conscience écorchée à vif face au chaos ambiant. C’est entre le frisson et le sourire que j’ai terminé ce récit où les personnages sont aussi tourmentés qu’attachants et où la forêt matapédienne est à la fois point de repère et vallée étrangère. Je relirai certainement l’œuvre, cette fois-là par un soir d’automne pluvieux, un album de Black Sabbath en guise de trame sonore.

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