Le blogue du rédac

Mikael Rioux : « Il faut être capable de célébrer nos victoires »

Par Rémy Bourdillon le 2021/08
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Mikael Rioux : « Il faut être capable de célébrer nos victoires »

Par Rémy Bourdillon le 2021/08

En ces temps de crise climatique, alors que le GIEC a haussé le ton comme jamais dans son dernier rapport, quel est l’avenir du mouvement écologiste? Le Mouton Noir en a parlé avec un militant bas-laurentien, Mikael Rioux. Ce partisan de l’action directe s’est distingué par de nombreux coups d’éclat depuis le début du siècle : en 2002, il s’est notamment suspendu au-dessus de la rivière Trois-Pistoles pour sauver de magnifiques chutes alors menacées par un projet de minicentrale privée.

Aujourd’hui, c’est au large de Trois-Pistoles que Mikael Rioux travaille, sur l’île aux Basques dont il est en quelque sorte l’homme à tout faire. « Je fais bateau-taxi, guide, gardien », nous explique-t-il en introduction d’une longue conversation dont nous présentons ici un résumé. Car quand il s’agit de parler d’environnement et de mobilisation citoyenne, l’homme est intarissable…

Mouton Noir : Lorsque tu t’es suspendu au-dessus de la rivière Trois-Pistoles, un débat agitait la région : certains disaient que l’économie locale avait absolument besoin des retombées d’un barrage, sans quoi la MRC des Basques allait mourir. Près de 20 ans plus tard, quel regard portes-tu sur la santé de la région?

Mikael Rioux : Je me rends compte que ce qu’on disait il y a 20 ans est plus vrai que jamais. C’est-à-dire que c’est la beauté, la nature, la qualité de vie qui attirent les gens à venir s’établir ici. On s’opposait à la vision selon laquelle les régions devaient absolument compter sur leurs ressources naturelles pour se développer et amener des emplois.

Il y avait tout un débat parce qu’Hydro-Québec était en surplus énergétique. Un promoteur voulait faire un petit barrage privé alors qu’aujourd’hui, chacune des 200 éoliennes qu’on a dans le haut pays produit à peu près ce que le barrage devait faire… Mais j’ai beaucoup de réticences aussi au niveau de l’éolien : c’est la suite logique des barrages privés, de la décentralisation des marchés énergétiques survenue au lendemain du référendum de 1995.

C’est un combat qu’on devrait porter dans l’Est-du-Québec : reprendre possession de nos gisements éoliens, pour les renationaliser. On est capables de faire des grands barrages partout sur la planète, mais on n’est pas capables de faire nos propres éoliennes et on a besoin de s’associer avec des compagnies françaises ou albertaines!

Sur l’île aux Basques, tu es dans un écosystème fragile, mais aussi dans un corridor du capitalisme, à savoir la voie maritime du Saint-Laurent par où passent des bateaux remplis de marchandises… Quelles réflexions ce lieu t’inspire-t-il?

C’est un carrefour des Premières nations, qui leur a servi de camp de base où se rencontrer l’été. Il y a une magie quand on débarque sur l’île : ça fait des centaines d’années que les arbres n’ont pas été coupés, en marchant dans les sentiers on sent qu’on est dans un lieu spécial. Juste devant, il y a Les Escoumins, les bateaux sont souvent arrêtés là parce qu’ils attendent un changement de pilote.

Quand les Basques sont arrivés ici, ils étaient à la recherche d’huile de baleine. On a encore les vieux fourneaux qui témoignent de leur présence : ils faisaient fondre la graisse de baleine pour la transformer en huile et l’envoyaient dans des barils en Europe. D’un côté, on dit que c’était des valeureux chasseurs qui traversaient l’Atlantique et risquaient leur vie pour faire ce travail extrêmement dangereux. Il faut se replacer à l’époque : c’était une question de survie. Mais il y a aussi un aspect triste à tuer cette richesse qu’il y avait dans le fleuve, surtout les baleines franches qui en sont presque à l’extinction aujourd’hui.

Pour moi, l’île a été le théâtre du début de l’écocide en Amérique : aussitôt que les Européens sont arrivés ici, la première chose qu’ils ont fait c’est de prélever les ressources naturelles au profit du capitalisme – en plus de décimer les Premières nations.

Aujourd’hui, l’île aux Basques est un lieu historique et très fragile : la tordeuse des bourgeons de l’épinette commence à affecter la végétation. Il y a cinq orignaux sur l’île qui commencent à brouter pas mal de végétation, il y a une réflexion à avoir parce que le territoire n’est pas assez grand pour eux. Quelques petites plantes envahissantes ont fait leur apparition…

Le combat citoyen pour l’environnement a remporté quelques belles victoires au Québec (Énergie Est, GNL). Mais en même temps, les émissions de GES ne diminuent pas vraiment, on achète des VUS, la banlieue progresse… Comment se sent un écolo face à ça?

Il faut être capable de célébrer nos victoires, pour que les générations futures désirent se tenir debout contre le turbo-capitalisme. Énergie Est c’était un monstre, GNL Québec c’était aussi plusieurs milliards. C’est des grosses compagnies qui ont énormément de pouvoir financier, de leviers politiques. Des citoyens pourraient penser qu’à prime abord ça ne sert à rien de se mettre ensemble et de se battre. Ce que j’ai appris, c’est que c’est le contraire.

Surtout, au Québec, on a un devoir supplémentaire par rapport à d’autres endroits sur la planète où des peuples risquent carrément leur vie s’ils décident de s’opposer à des projets de mine ou à la destruction de la forêt amazonienne. Ils vont voir arriver des mitraillettes, des menaces de morts, des assassinats sélectifs de leaders syndicaux…

Ici, ce qui peut arriver, c’est de faire une journée ou deux en prison parce que tu as fait de la désobéissance civile et tu t’es accroché quelque part. Il ne faut pas relativiser les chocs post-traumatiques suite à une nuit en prison et un matraquage par la police, mais ce n’est rien à côté de ce qui se passe ailleurs. Ça devient un devoir de solidarité envers les peuples qui ne peuvent pas faire la militance ou les coups d’éclat qu’on peut faire ici.

Je suis en train de réfléchir à un projet de podcast pour raconter les victoires citoyennes des dernières années. On a entendu parler des plus grosses, mais par exemple aux Îles-de-la-Madeleine ils ont réussi à chasser Gastem qui voulait forer, ils ont empêché le pétrole offshore dans le golfe du Saint-Laurent. Il faut valoriser ces luttes, et en parallèle, il faut être capable de développer des projets qui vont dans le bon sens. Ce que je trouve intéressant dans la région, c’est qu’on sent que les jeunes veulent de plus en plus se tourner vers l’agriculture de proximité.

Fred Dubé dit que « le pacifisme va nous tuer ». Est-il temps pour le mouvement environnemental de se radicaliser?

Je suis d’accord avec beaucoup de ce que Fred dit. Au niveau de la désobéissance civile, il y a toujours un débat à l’interne dans les groupes environnementaux. Ce que je prône, c’est la diversité des tactiques. Il y en a qui préfèrent la marche pacifique. J’en ai fait : Cacouna à Kanesatake contre le projet Énergie Est, c’était assez pacifique. Et ça fonctionne : on apprend, on fait des ateliers…

Mais ça ne peut pas être que ça. Quand des gens (dont j’ignore qui c’est) brûlent des équipements de Squatex à Ste-Jeanne-d’Arc, et qu’ensuite la compagnie va parler d’acceptabilité sociale à ses actionnaires et a du mal à être assurée, c’est quelque chose qui fonctionne aussi. Je parle en mon nom personnel : je suis pour la diversité des tactiques, tant que ça ne s’attaque pas aux personnes. Mais j’ai déjà arrosé le PDG d’Hydro-Québec à l’Assemblée nationale pour protester contre un projet de gaz naturel, je voulais éteindre la flamme qui brûlait en lui!

Est-ce que tu vois de l’espoir dans une figure comme Greta Thunberg, et dans les marches pour le climat d’avant la pandémie?

Oui, j’ai de l’espoir, parce qu’elle ne lésine pas : elle dit ce qu’elle pense, peu importe le contexte dans lequel elle est invitée. Je pense que de voir une jeune se lever et être motivée, ça en motive d’autres. Plus il va y avoir de gens conscientisés, plus les jeunes vont se radicaliser, plus les autres générations devront les écouter.

C’est beau sortir à 500 000 personnes dans les rues de Montréal. Cependant, si le lendemain rien ne se passe, ça démobilise cette masse de personnes prêtes à passer à l’action. L’espoir ne peut pas être d’une naïveté qui va faire dépenser beaucoup d’énergie dans des actions qui ne porteront pas fruit. Il y a tellement une urgence d’agir… À un moment donné, il va falloir que ceux qui ont pris des mauvaises décisions rendent des comptes.

Ceci dit, chacun a ses forces et ses faiblesses. Personnellement, mon expertise, j’appelle ça l’acupuncture révolutionnaire : c’est rentrer l’aiguille à la bonne place au bon moment. J’analyse le projet, je regarde où je peux mettre du sable dans l’engrenage pour faire dérailler tout ça. Peu importe l’acceptabilité sociale. Comme pour l’autoroute 20 : tout Rimouski est derrière une autoroute qui va leur faire gagner 5 minutes, ce n’est pas ce qui va m’empêcher de militer contre ce projet. 

Que penses-tu du terme « transition »?

C’est un leurre. Demain matin, si tout le monde passe à l’électrique, OK au Québec on a des barrages qui font de l’électricité renouvelable, mais dans la plupart des pays l’énergie est produite à partir de charbon, de pétrole ou de gaz. On est dans une société extractiviste, ça ne sert à rien de diminuer les gaz à effet de serre si par ailleurs on détruit les forêts et toute la biodiversité qu’on a sur la planète.

De toute façon, il n’y a pas assez de ressources pour ça. Je prône une décroissance rapide, on doit changer nos façons de faire. Mais l’humain cherche la facilité et suit le courant, c’est une inertie très difficile à contrer pour les militants. On le voit avec la pandémie : les gens ont juste hâte de reprendre l’avion. Alors on va aller jusqu’au bout des ressources, la planète va nous secouer les puces, et on va arriver dans un monde de contraintes.

Vas-tu voter aux élections fédérales?

Non, je ne vote plus depuis une quinzaine d’années. Je ne crois plus aux politiciens, c’est ma façon de leur signifier.

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