
En juillet 2020, j’ai eu l’immense plaisir de faire un séjour de dix jours sur le Coriolis II, un navire de recherche scientifique. Un an plus tard, c’est en lisant La patience du lichen, second livre de Noémie Pomerleau-Cloutier, que j’ai enfin trouvé les mots évoquant cet espace indicible qui m’habite depuis mon passage sur le Saint-Laurent. « Je n’ai jamais eu le pied marin, quelque chose dans mon oreille interne ondoie de façon arythmique. Mais, en moi, les flots qu’on épanche trouvent un espace où les cordages sont au diapason. »
Dans son recueil de poésie, Noémie Pomerleau-Cloutier s’ancre, au-delà de la route 138, en terrain maritime à la découverte de « la force qui soude ces femmes et ces hommes à cette terre frangée de centaines d’îlots, de plages et de passages ». Le Bella Desgagnés, moyen de transport de l’exploratrice et ligne directrice de l’œuvre, fait voyager le lecteur à la rencontre des « Coasters » (les Nord-Côtiers). À chaque port, des paroles innu-aimun, francophones et anglophones entrent dans ce magnifique recueil et nous racontent leurs histoires : « Oh we had a wonderful life my dear / as long as we were on the water / we were ok / on the sea i would never change him / for anyone else ». L’approche documentaire de l’écrivaine, qui procède du même coup à une reconnaissance des communautés visitées, donne à l’œuvre une portée militante. La patience du lichen constitue une invitation à repenser les rapports entre humains et territoires : « Je ne comprendrai jamais la frontière entre le territoire et l’humain ».
La sensibilité avec laquelle l’écrivaine rend compte des communautés qui vivent dans les villages côtiers (Kegaska, Pakua Shipi, Middle Bay, Brador, etc.) montre que la poésie réside le plus souvent dans la simplicité, la rencontre, le partage : « j’ai appris / au fil des escales / à les appeler par leurs prénoms / à connaître leurs familles »
L’écrivaine, dans sa démarche créatrice, noue des liens avec ceux qu’elle rencontre. La patience du lichen constitue un maillage. Maillage de souvenirs, de pertes, d’épreuves, mais aussi de beauté, de bonheur simple, de rituels. « Je me sens appartenir, par archipels. Je sais que j’ai laissé des morceaux de moi à chaque coin du globe que j’ai foulé. Je reconnais la douceur et le poids de ce qu’on me donne à rapporter ».
Les poèmes, simples et touchants, passent de la versification à la prose. Les passages en prose semblent davantage correspondre au style de Noémie Pomerleau-Cloutier et demeurent tout aussi poétiques.
Au début de l’œuvre, l’écrivaine personnifie le Bella. « C’est étrange, en anglais, les bateaux sont à peu près les seules choses inanimées qui ont un genre, le féminin. Je parlerai maintenant de Bella comme d’une femme pour le reste de ma vie ». Je ne sais pas pourquoi, mais pour moi, ce n’est pas seulement le navire que je considère au féminin, ce sont tous les lieux du « maritoires ». J’aime imaginer la mer danser, femme libre, douce et puissante, dans sa robe de vagues et d’écume.