
Pendant la campagne électorale fédérale, Le Mouton Noir interrogera un représentant de chaque parti sur le thème de l’urgence climatique. Première partie : le Bloc québécois, qui occupe deux sièges dans l’Est-du-Québec.
À 28 ans, Kristina Michaud vise la réélection dans Avignon–La Mitis–Matane–Matapédia. Dans les deux dernières années, elle s’est souvent positionnée en faveur de la lutte aux changements climatiques : elle a par exemple déposé un projet de loi pour obliger le Canada à respecter les engagements de l’accord de Paris, et s’est publiquement réjouie de l’abandon du projet d’oléoduc Keystone XL par Joe Biden… bien que ni le Québec dont elle défend l’indépendance, ni le chef du parti qu’elle représente ne sont exemplaires en matière d’environnement.
Mouton Noir : Vous avez vu le dernier rapport du GIEC. Qu’est-ce que ça vous inspire?
Kristina Michaud : C’est inquiétant, mais ce n’est pas surprenant, parce que les pays ne font pas suffisamment d’efforts pour lutter contre les changements climatiques. Le Canada en est un exemple, alors qu’il a un devoir d’exemplarité en tant que membre du G7. C’est d’ailleurs le seul pays du G7 qui a augmenté ses émissions de gaz à effet de serre (GES) depuis l’accord de Paris.
On a adopté une loi avant la fin de la session parlementaire pour que le gouvernement rende des comptes à la population sur son action climatique : s’il réussit vraiment à diminuer ses émissions de GES, qu’il le démontre! On a essayé de peine et de misère de la rendre plus contraignante, mais c’est mieux que rien : le Canada se retrouve avec une loi climat, ce qui n’était pas le cas avant.
À mon avis, tant que le Canada continue de subventionner à grands frais avec l’argent des contribuables les énergies fossiles, qui sont les plus polluantes, on s’en va dans un mur. On ne peut pas dire d’un côté de la bouche qu’on est un gouvernement vert, qu’on veut lutter contre les changements climatiques, qu’on veut investir dans la conception de voitures électriques par exemple, et continuer de subventionner le pétrole…
C’est certain que ça va être un sujet chaud de la campagne électorale. Alors qu’en 2019 c’était moi qui parlais des changements climatiques, là c’est le contraire : les gens m’abordent avec cette question et constatent que le Canada n’agit pas suffisamment. J’entendais le ministre de l’Environnement [Jonathan] Wilkinson qui réagissait au rapport du GIEC en disant que le Canada a des mesures agressives pour lutter contre les changements climatiques. On ne voit vraiment pas les mêmes mesures!
Est-ce que vous faites partie des optimistes qui pensent qu’avec le génie humain et la technologie on va s’en sortir, ou des gens habités d’un sentiment d’urgence pour qui il faut absolument reconsidérer rapidement certains aspects de nos modes de vie?
Je suis habitée d’un sentiment d’urgence, comme la plupart des gens et surtout la plupart des jeunes. Dans les dernières années, un mouvement assez important s’est créé autour de l’urgence climatique.
Mais je ne me placerais pas dans le camp des pessimistes, parce que j’écoute les scientifiques. Ils nous disent qu’on n’a pas encore atteint le point de non-retour, même si on va l’atteindre assez rapidement si on ne fait rien – on l’a vu avec le rapport du GIEC : ce qu’on prévoyait dans une vingtaine d’années, finalement ce serait dans dix ans…
Je pense qu’il est encore temps d’agir, mais il faut le faire maintenant. On dit depuis des années qu’il est minuit moins une, là il est minuit cinq. Je portais le dossier des changements climatiques au parlement pour le Bloc québécois, et je vais continuer de le faire. C’est certain que je vais en faire une priorité autant dans mon comté que dans mon travail parlementaire.
On entend souvent dire que les jeunes générations sont plus sensibilisées aux questions environnementales, à la lutte face aux changements climatiques. Est-ce que c’est vrai aussi à Ottawa, chez les députés plus jeunes des différents partis?
Pour commencer, il n’y a pas énormément de jeunes, et je vous dirais que la ligne de parti embarque beaucoup… Je siège avec des collègues du Bloc québécois qui sont dans la cinquantaine et qui sont davantage environnementalistes que mon collègue conservateur d’une vingtaine d’années de l’Ontario, qui explique à quel point le pétrole est important parce que ça donne des emplois à des centaines de milliers de personnes dans l’ouest du pays.
Je vois des jeunes et moins jeunes libéraux qui semblent avoir de bonnes intentions, qui ont des grandes ambitions, mais finalement les actions ne suivent pas vraiment les paroles. C’est un peu particulier de constater ça.
Ce n’est plus une question d’âge : je pense qu’avant on en entendait plus parler par les jeunes, mais aujourd’hui c’est une question de conviction.
Les souverainistes, dont vous faites partie, pensent que le Canada n’est pas l’espace approprié pour la lutte aux changements climatiques. En quoi ce serait mieux dans un Québec indépendant?
Je pense qu’on pourrait être un modèle à exporter. On a fait nos preuves avec l’hydroélectricité, on est meilleurs que les autres provinces du Canada pour ce qui est de nos émissions de GES. Au Québec, on veut aller de l’avant avec des mesures plus agressives que ce que le Canada propose. Ce Canada dans lequel on est enfermés va toujours faire une place aux énergies fossiles, ce qui ne nous rejoint pas et nous tire vers l’arrière.
Le Québec fait bonne figure quand il se compare à l’Alberta, mais il a quand même une consommation parmi les plus élevées du monde. Le nombre de VUS explose, il se construit d’immenses maisons de banlieue, on va en voyage « dans le sud » à tout bout de champ… Les Québécois ne devraient-ils pas se regarder eux aussi dans le miroir?
Peut-être, je ne dis pas qu’on est sans failles. Oui, le transport, l’exploitation intensive des animaux et la consommation de viande, c’est certain que cela émet des GES, il y en a au Québec comme ailleurs.
Mais sur le fait d’être constamment dépendant des énergies fossiles qui sont les plus polluantes, le Québec se positionne mieux que les autres provinces. Je ne dis pas qu’on est exemplaires encore, mais on pourrait certainement le devenir si on n’était pas toujours liés à ça. Les taxes et les impôts qu’on paie à Ottawa, si on les payait à Québec et si on les investissait dans des énergies vertes plutôt que dans le pétrole, je crois que ce serait une bonne chose.
Verra-t-on bientôt des décisions fortes pour l’environnement, comme on en voit pour la pandémie actuellement? Par exemple des taxes très élevées sur certains produits, voire des interdictions? Vous pourriez être en faveur de cela?
J’espère qu’il y aura des mesures plus draconiennes, parce qu’à l’heure où on est, je pense qu’on en a besoin. On aurait dû agir il y a bien longtemps et on ne l’a pas fait, donc c’est certain qu’aujourd’hui ce qu’on va mettre en place devra être agressif.
Ce n’est pas qu’une question de taxation : il faut aussi essayer de décarboniser notre économie, et aider les entreprises qui sont dans les énergies fossiles et polluantes à se transformer. Également aider leurs travailleurs à avoir des emplois verts.
Parlant d’énergies polluantes, votre chef Yves-François Blanchet est celui qui a soustrait le projet de cimenterie McInnis au BAPE lorsqu’il était ministre de l’Environnement du Québec. Aujourd’hui, il s’agit de l’un des plus gros émetteurs de GES du Québec. Comment vous vivez avec ça?
On aime nous rappeler cette histoire, et on doit vivre avec. À l’époque, j’étais loin d’être en politique, mais c’était présenté comme un projet environnemental, comme la cimenterie qui serait la moins polluante au Québec et peut-être même au pays. Ça semblait être un bon compromis…
Aujourd’hui on se rend compte que non, que les façons de faire utilisées ne sont pas les meilleures, et que l’entreprise n’aurait pas tenu toutes ses promesses en matière environnementale. Alors il ne s’agit pas de regretter et de taper sur la personne qui a pris la décision, mais plutôt de voir comment on fait pour s’améliorer et pour faire en sorte que la cimenterie compense ses émissions de GES ou les diminue.