
L’an dernier, Le Mouton Noir relatait les conflits qui agitaient la petite municipalité de Saint-Vianney, dans la MRC de La Matapédia. Depuis, la situation ne s’est pas apaisée entre le maire et quelques citoyens, entre rapport du Commissaire à l’intégrité municipale et aux enquêtes (CIME), passage au tribunal et accusations de népotisme…
Georges Guénard est maire de Saint-Vianney depuis 20 ans. Depuis quelques années, un groupe de citoyens lui reproche d’outrepasser les limites de son rôle de premier magistrat. Sur sa page Facebook, le Groupe d’opposition à la politique municipale de Saint-Vianney affiche ses intentions à l’endroit du maire : « objectif 2021 « out » terminé ».
Ce comité formé d’une poignée de personnes a saisi le CIME, instance dépendant du ministère des Affaires municipales, pour qu’il enquête sur la gestion de Georges Guénard. Dans son rapport paru récemment, le commissaire Richard Villeneuve explique « que les renseignements obtenus ne permettent pas de soutenir que des actes répréhensibles ont été commis » par le maire, mais l’écorche tout de même en concluant à « un possible abus d’autorité du maire eu égard au processus d’autorisation des dépenses et une contravention à l’article 25 de la Loi sur le traitement des élus municipaux ».
Ainsi, le maire a conclu deux contrats sans qu’ils n’aient été autorisés par des résolutions du conseil municipal. De même, M. Guénard a réclamé le remboursement de frais de déplacement à deux reprises (pour aller inspecter une chargeuse-pelleteuse et acheter du fil chauffant pour le compte de la municipalité) sans qu’aucune résolution préalable n’ait été adoptée par le conseil pour le mandater.
Joint au téléphone, Georges Guénard dit prendre acte du rapport et assure qu’il fera les ajustements nécessaires, tel que recommandé par le CIME. Les erreurs commises l’ont été faites de bonne foi, tient-il à souligner. « Le rapport ne le mentionne pas, mais on a six directrices générales qui sont passées en peu de temps, la première étant décédée. Certaines résolutions auraient dû être là et n’y étaient pas, mais je pense que tout être humain a le droit de faire des erreurs. Quand une directrice rentre en poste, elle ne peut pas tout savoir du jour au lendemain. »
Passage par la case tribunal
Le maire de Saint-Vianney en profite pour riposter et questionner la moralité de Patrick Lebrun, un ancien camionneur qui a endossé le rôle de porte-parole du groupe d’opposition. Il explique qu’en mars, la municipalité et le Comité de développement sont allés devant les tribunaux pour obtenir de l’épouse de M. Lebrun, Louise Marcoux, qu’elle rembourse des loyers impayés – elle tenait jusqu’à novembre 2018 un restaurant dans un local appartenant à la municipalité.
« Ils ont perdu en cour et doivent un montant de 4229 $ à la municipalité, relate Georges Guénard. Madame s’est mise sur la loi du dépôt volontaire. Elle nous paie une piastre par mois, ça va prendre 252 années pour qu’ils s’acquittent de leur dette. Pourtant, ils sont capables de faire du camping et de la chasse! Penses-tu que c’est correct par rapport à l’ensemble de mes citoyens? »
« Ma femme n’a pas de revenus, c’est moi qui la fais vivre depuis la fermeture du restaurant », rétorque Patrick Lebrun. Il considère qu’elle n’a pas perdu la cause, car en plus des loyers, le comité de développement lui réclamait près de 6000 $ pour de la location d’équipements. Cette demande n’a été accueillie que partiellement par la juge : Mme Marcoux devra payer environ 800 $.
Par ailleurs, Louise Marcoux a été déboutée d’une demande de dommages-intérêts de 15 000 $ faite au Comité de développement pour « troubles, ennuis et inconvénients » qui auraient causé une perte de revenus à son établissement. Pour la juge, « la preuve ne démontre pas que le Comité est responsable de cette mauvaise aventure commerciale ».
Georges Guénard considère que Patrick Lebrun fait des plaintes à répétition contre le conseil municipal parce qu’il est frustré de l’échec du restaurant. L’ancien camionneur dénonce de son côté la mainmise de la famille du maire sur la vie du village. Aujourd’hui, la coopérative de solidarité qui gère l’épicerie de Saint-Vianney, présidée par l’épouse de M. Guénard, utilise gratuitement le local où se trouvait le restaurant, pointe le citoyen, alors que Louise Marcoux n’a eu droit à aucun traitement de faveur quand son commerce a commencé à connaître des difficultés financières.
Une embauche qui fait jaser
Patrick Lebrun va jusqu’à parler de népotisme à Saint-Vianney. Il évoque notamment l’embauche, fin 2020, de la nièce du maire au poste de directrice générale. L’offre d’emploi a été affichée uniquement à échelle locale, déplore-t-il, ce qui a limité le nombre de candidatures.
Seules quelques municipalités du Québec ont adopté des règlements interdisant au conseil municipal d’embaucher de la parenté. Saint-Vianney n’en fait pas partie, a pu constater Le Mouton Noir.
Pour M. Guénard, dans une petite municipalité comme la sienne (400 habitants), cela ne pose pas de problème tant qu’aucun manquement n’est constaté : « On a fait une mise en candidature, elle a envoyé son CV. La sélection parmi les deux ou trois CV reçus a été faite par des conseillers municipaux. Vu mon lien de parenté avec une candidate, je me suis retiré [du processus]. » La nouvelle directrice générale Mélanie Champagne ajoute que des informations ont été préalablement prises auprès du ministère des Affaires municipales pour s’assurer que son embauche était sans tache.
Selon le professeur à l’École nationale d’administration publique Rémy Trudel, ce genre de cas de figure est fréquent dans les petites municipalités du Québec. Il est important de présumer de la bonne foi des élus, commente-t-il, cependant ceux-ci doivent mener l’embauche de façon très prudente afin de garder la confiance de la population.
M. Guénard a bien agi en se retirant du processus de sélection, pense Rémy Trudel, mais l’idéal aurait été de faire appel à un comité de sélection formé de personnes indépendantes, par exemple du personnel de la MRC. Par ailleurs, « il est très important d’expliquer publiquement les critères qui ont permis de retenir la candidature, afin que ses liens de sang ne lui nuisent pas quand elle va exercer ses fonctions », détaille l’ex-ministre des Affaires municipales.
Une famille de postiers
Autre curiosité viannoise, le maire et une de ses filles travaillent au bureau de Postes Canada, dont la maitresse de poste est… la femme du maire. Une situation qui interroge, quand on sait que dans ses offres d’emploi, Postes Canada écrit que « la Politique sur les conflits d’intérêts interdit aux employés d’embaucher, de superviser ou d’avoir pour supérieur […] des membres de leur famille immédiate ».
« La Politique sur les conflits d’intérêts de Postes Canada ne s’applique pas aux maîtres de poste travaillant dans des locaux dont la Société n’est ni propriétaire ni locataire », répond la responsable des relations avec les médias de Postes Canada, Nicole Lecompte, lorsqu’on lui demande si des exceptions à cette règle existe. En revanche, malgré nos nombreux courriels, nous ne saurons jamais comment vérifier quels sont les locaux en question.
Questionné à ce sujet, Georges Guénard considère que sa situation est correcte puisque Postes Canada lui a donné l’autorisation de travailler. « Je suis à la retraite et j’ai encore le cœur au travail, tandis qu’il y en a qui sont sur la CSST et n’ont pas le cœur au travail », déclare-t-il pour lancer une dernière pique à ses opposants.