Il y a tout cela qui se bouscule dans ma tête, y semant et entretenant une confusion qui semble ne plus avoir de fin. La liberté est devenue une espèce d’étendard fourre-tout qui justifie même les comportements les plus aberrants. En son nom, on peut faire sauter en éclats les vitrines de commerçants atterrés qui peinent déjà à rassembler les morceaux de leur triste déconfiture. S’en réclamant, un propriétaire de gym peut ridiculiser les clients qui osent porter un masque dans son établissement en ces temps de pandémie boulimique. Mega Fitness, oui, une mise en forme intensive qui peut vous mener directement aux soins intensifs ou se terminer sur le billard de la morgue. Dégât Fitness, plutôt, s’il faut continuer à verser dans l’anglicisation. Et bravo pour le proprio, un grand adepte des radios poubelles, semble-t-il.
Sous l’égide de la même stupéfiante stupidité, la culture woke continue ses ravages, laminant tout sur son passage et cherchant à expurger la mémoire collective des vestiges laissés par plus de mille ans d’histoire, comme si cette incroyable saga de l’humanité ne recelait que du caca immonde dont il faut absolument éliminer la moindre trace. Oui, les Blancs sont des écœurants, mais je ne crois pas que les Mongols ou les samouraïs et les shoguns y allaient avec le dos de la cuillère quand ils faisaient des prisonniers, et je suis convaincu que les geôles d’Idi Amin Dada ou les chambres de torture de Papa Doc ne me seraient pas apparues tellement plus sympathiques que celles de Franco ou de Bachar al-Assad.
Et les tenants de ces théories absurdes – libârtarés, con-plotistes et autres con-spirationnistes – jouissent maintenant de plateformes incroyables pour proférer leurs âneries et les voir se multiplier à l’infini. Qui plus est, ils peuvent maintenant lancer n’importe quelle invective, traiter n’importe qui de la plus injurieuse façon, traîner dans la boue avec des qualificatifs innommables la moindre pauvre élue de bonne foi dont le grand crime est de se montrer favorable à un changement de jour pour la cueillette des ordures, et ce, courageux redresseurs de torts, en se terrant héroïquement derrière l’anonymat de leur écran. Non, les déchets ne se trouvent pas uniquement en bordure des trottoirs, et ils prolifèrent, peu importe le jour de la semaine, voire l’heure du jour.
Et pendant ce temps et depuis plus de cent cinquante ans, l’arnaque canadienne se poursuit qui prétend défendre le fait français, alors qu’en réalité on mène une lutte constante pour parachever son éradication. Si on étudiait l’histoire, on apprendrait en effet que c’est depuis le début de la Confédération, voire depuis la Conquête, que les droits des minorités francophones se voient graduellement élimés, jusqu’au moment où le tissu est si mince qu’il suffit de souffler dessus pour voir la trame s’effriter. En vertu de quelle règle un peuple vaincu conserverait-il des droits? Et du seul fait que tout comme en Allemagne, en Italie, en Suède, nous cherchons simplement à nous exprimer dans la langue qui nous est propre et à la protéger, l’océan anglophone se déchaîne contre nous, usant du même vocabulaire que ces éboueurs de basse-fosse de tout à l’heure qui vilipendent ceux et celles qui selon eux contreviennent à leur « libârté ». Le plus triste dans l’histoire, c’est qu’il semble bien qu’on n’y tient pas tant que ça à notre beau « frança ». Parlez-en aux ados qui ne jurent plus que par la culture anglophone et à tous ces gens d’affaires qui renient la langue de Tremblay en baptisant leur commerce.
J’ai gardé le plus tragique pour la fin. Ces pauvres femmes assassinées dont la liste s’allonge de jour en jour. Comment mettre fin à ce fléau? Comment prévenir en amont ces horribles féminicides perpétrés par des maris, des amants, des pères qui bien souvent, dans le rapport quotidien avec leurs voisins ou leurs collègues de travail, s’avèrent des bonhommes ordinaires, de bon aloi, de bon rapport. « On n’aurait jamais pensé ça de lui. » Et si ces criminels en puissance se mettaient eux-mêmes à penser un peu et cherchaient leurs travers dans leur propre psyché plutôt que d’accuser autrui et d’infliger la torture à des êtres qu’ils sont pourtant censés aimer?
Et puis il y aura les séquelles de la pandémie. Pensez-vous vraiment qu’on parviendra à se retricoter une société avec ces lambeaux de nous-mêmes?