
Ce texte devait être publié en mars 2019 mais il a été oublié dans une corbeille de recyclage. Mille excuses. Il est publié, tel quel, en mars 2021.
Pour la première fois depuis que c’est ouvert, je me suis rendu à la galerie Alarie Art Contemporain pour le vernissage de l’exposition de mon grand ami Facebook, Romjy Romjy. Comme je n’ai toujours aucune idée qui est ce grand ami, je me suis muni de stratégies de pointe afin de découvrir l’identité de ce grand artiste.
À mon arrivée sur les lieux, pas un sou en poche, je tombe sur deux grands gaillards qui parlent fort dans l’entrée, qui parlent vrai. Je m’approche d’eux avec une offrande stratégique : “je dois donner cette missive à Romjy, en mains propres”, dis-je! Et les voilà partis, un qui dit que Romjy c’est l’autre, l’autre disant que Romjy n’est pas ici, “Non, non, non, c’est pas moi, je suis le directeur de la galerie, moi là!”, et il est très occupé, et ce ne sont pas eux, et voilà, et on ne saura rien d’autre que “la missive lui sera bien remise, je vais la cacher dans mon bureau”. Bon, c’est mal parti. Au moins, le paragraphe qui commence sans le sou fini avec, dans la main gauche, un verre de vin.
Heureusement qu’une équipe de quatre espions russes du Mouton Noir® étaient sur place pour m’aider dans mon enquête. À nous cinq, nous avons réussi à avoir des conversations avec toutes les personnes présentes au vernissage. Les étrangers qui semblent vouloir nous cacher de l’information parlent de Romjy au féminin : “Romjy? non, je ne la connais pas…”, sur un air faux et hautain. Tandis que les autres, naïfs, parlent de lui comme un homme : “Non, j’passais par là en ski-doo, c’est pas toi?, j’suis juste arrêté voir”. Mais qui se cache derrière une œuvre aussi cohérente de souplesse dans la matière et de rigidité dans le tissu socio-économique?
À la manière d’un Banksy rural, Romjy collectionne les déchets locaux et les assemble en sculptures d’une virtuosité médicale, d’une virilité nulle, montrant, enfin, le point de vue de la nature sur l’homme. L’anti-oeuvre-d’art par excellence, la Terre Mère qui dessine l’Homme, une première dans l’histoire de l’Art. Car l’homme, il est connu, produit plus de déchets que la femme. L’homme, celui avec un petit h et un phallus, cause les massacres, les guerres, la violence, est aussi celui qui, le plus souvent, ouvre la fenêtre de son char afin de défenestrer un format XL de café Tim Hortons avec un paille : “Direct dans l’lac, dix points!” Perdu dans mes réflexions, je comprends enfin qu’il serait stupide pour un homme d’organiser un vernissage un huit mars, en 2019. Sérieusement. La thèse de l’artiste féminine tient de plus en plus la route. Cette femme qui, comme la nature, pointe du doigt l’homme qui la détruit. Romjy est géniale.
Malheureusement, il plane une ombre, une épée d’Herpès, un oeil de Sauronne au-dessus de la tête de cette chère Romjy. L’amaigrissement de sa matière première, que dis-je, la disparition totale des tales de l’artiste est à craindre. Le mouvement Zéro déchet prend de l’ampleur, menaçant de sortir du Plateau Rosement, le jeune danois Boyan Slat promet de vider les océans de ses déchets, Lyne Morissette veut ramasser 100 tonnes de déchets sur les plages – et tous ces gens travaillent sans créer une seule oeuvre d’art, sans donner de dividendes aux actionnaires – le danger est à la porte, et on l’apporte à l’éco-centre.
Il ne reste qu’une seule chose à souhaiter à Romjy pour 2019, l’ouverture prochaine d’un Cosco à Rimouski-doo, permettant de déverser, encore et encore, des rebuts de qualités sur le bord des routes afin de lui permettre de continuer à transformer les ordures en juteux profits.
On a aimé : belle galerie, luminaires ingénieux, salon de coiffure sur place, qualité des vins excellente, œuvres à prix abordables.
On a moins aimé : manque cruel de minorités visibles, hormis un Français qui n’est visible que quand il ouvre la bouche (et il parlait tout le temps…). Le milieu de l’art contemporain est encore et toujours blanc? (La précarité et la pauvreté des artistes ne comptent malheureusement pas comme une minorité visible).