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Redevenir Terriens

Par Fred Dubé le 2021/03
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Redevenir Terriens

Par Fred Dubé le 2021/03

Produire moins, partager plus,
décider ensemble

Yves-Marie Abraham,
Guérir du mal de l’infini

C’est l’histoire d’un homme qui se plaint. « On m’a livré une boîte vide. » Il téléphone à la compagnie. Un employé lui répond : « C’est le cercueil que vous avez commandé, monsieur. — Mais il est vide! — C’est à vous de le remplir. — Je fais comment? — Attendez. » Morale de l’histoire : le temps qui passe n’arrange pas nécessairement les choses pour le mieux.

Acheter un banal objet, c’est s’engager corps et âme dans une aventure. Car la plupart des machins-trucs qui nous entourent ont besoin d’autres machins-trucs pour demeurer fonctionnels. À l’image d’oisillons affamés, le frigo ou l’imprimante doivent être nourris. Notre téléphone intelligent, pourtant si petit, si « indépendant », sans fil, doit être alimenté par des antennes réseau, des routeurs, d’autres ordinateurs, des centrales électriques, des barrages hydro-électriques. Un appartement au troisième étage nécessite un escalier… ou pas, c’est selon l’humeur du proprio. Utiles ou inutiles, les bébelles appellent toujours plus de bébelles. Le cossin sans cossins meurt. Pour qu’un Sea-Doo vive, il doit posséder un trailer qui doit avoir un pick-up. D’ailleurs, peut-on douter de l’utilité d’un moyen de transport qui nécessite un autre moyen de transport pour le transporter?

Acheter un objet, c’est acheter tout un monde qui vient avec. Un monde qui hurle pour posséder d’autres mondes revendiquant d’autres bidules. Des émeutes de babioles font rage dans mon trois et demi. Tous ces objets qui sont m’empêchent d’être. Ça me donne La Nausée. C’est pour ça que j’achète le moins possible, pour limiter le nombre d’existences que l’on doit ensuite entretenir, en plus de devoir travailler pour avoir l’argent nécessaire pour se procurer ces trucs. C’est sans fin. Günther Anders écrivait  : « Si tu veux un esclave fidèle, offre-lui un sous-esclave. » Le capital produit ces marchandises que nous pensons posséder. C’est pourquoi nous sommes si fidèles à nos possesseurs.

Ce qui amène une autre grande tragédie : le temps volé. Ces objets incarnent le plus gros vol de temps de l’histoire. J’aimerais pouvoir appeler la police pour rapporter un « vol de temps » et la voir débarquer chez moi pour flinguer tous ces objets qui m’entourent. Ouvrir le feu et vider un chargeur plein sur la mijoteuse à Ricardo (la meilleure). La police anti-émeute qui pacifie mon appart. La justice qui passe les menottes à mon ordinateur et à ses complices pour les condamner à faire du temps en prison.

Pour m’aider à me détourner des objets qui m’entourent et mieux meubler mon temps libre, j’ai accumulé plusieurs questions d’écologiste. Les voici. Dans un monde qui s’écroule, quelle place doit-on accorder aux câlins et aux bisous dans le cou? Deux amants lovés dans un lit qui se bécotent la roussette au miel, n’est-ce pas une manif d’écolos? Vivre d’amour et d’eau fraîche : simplicité volontaire, éco-romance responsable ou utopie? Passer l’après-midi chez moi à caresser la bedaine à ma chatte Patti, me rapproche-t-il plus de la nature que prendre mon char pour aller marcher dans un parc national? Un goulag écosocialiste, n’est-ce quand même pas mieux que Longueuil? Envoyer chier Mario Dumont sauve-t-il des bélugas? Pour aider la planète, vaut-il mieux réutiliser des circulaires d’épicerie Maxi issues de papier recyclé ou fracasser une tablette numérique sur la noix à Martin Matte? Vendre du rêve, une activité zéro déchet? Offrir un cunnilingus à la Saint-Valentin, une idée de cadeau éco-responsable? Passer le temps en fumant de l’herbe bio et en lisant des poèmes entre amis, est-ce une forme de militantisme doublement vert? D’ailleurs, des études prouvent que l’art développe l’empathie envers l’autre. La douleur d’autrui devient la nôtre. Pour la paix sociale, est-ce que le poète est plus utile que la police?

Cette magnifique citation du philosophe Falk van Gaver répond à certaines des questions posées ci-haut : « Le clivage réel se situe entre écologistes et industrialistes, entre décroissants et productivistes, entre animalistes et esclavagistes ou assassins, entre biocentristes ou écocentristes et anthropocentristes, entre la générosité terrienne et l’égoïsme humain : entre le monde de la vie, du vivant, du vivre et laisser vivre, de l’écologie de la libération, et le monde mortifère de l’industrie, de l’exploitation, de la pollution, de la destruction de la nature et des humains. Nous devons apprendre à n’être pas que des humains, mais à redevenir ce que nous sommes : des Terriens, et pas les seuls sur Terre. »

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