Le blogue du rédac

Plus vite, plus haut, plus fort : Mars!

Par Fred Dubé le 2021/03
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Le blogue du rédac

Plus vite, plus haut, plus fort : Mars!

Par Fred Dubé le 2021/03

« Je pense que ce serait cool d’être né sur Terre et de mourir sur Mars. »

Elon Musk, backpacker interplanétaire

J’ai commis l’impensable. Sur Facebook, j’ai écrit une blague sur la conquête spatiale : « Détruire une planète gorgée de vies en se félicitant d’explorer une planète morte. » Cette petite boutade a piqué au vif des gens. En très grandes majorités des petits messieurs fâchés ont vu là une attaque contre la science et les scientifiques, une injonction à envoyer au bûcher Hubert Reeves le païen et à bombarder la NASA. N’ayez crainte, je ne vais pas siphonner le gaz d’une fusée pour empêcher ce phallus cosmique de décoller et ainsi provoquer une peur inconsciente de la castration de votre engin. Dormez tranquille.

J’avoue que j’ai été ému de voir ces petits Cœur Vaillant des médias sociaux défendre si ardemment la science. Malheureusement, la confiance aveugle envers le solutionnisme (la capacité des nouvelles technologies à résoudre tous les grands problèmes du monde) et l’aspect bucolique de l’exploration de l’espace masquent d’autres réalités préoccupantes.

« Notre galaxie serait pleine de civi­li­sa­tions extra­ter­res­tres mortes. », annonçait une étude publiée sur phys.org (à laquelle a collaboré la NASA) en décembre 2020. L’étude montre que « le progrès scientifique et technologique d’une civilisation conduirait inévitablement à sa destruction, que ce soit, par exemple, а cause du changement climatique et des guerres. La majorité des civilisations beaucoup plus âgées que la nôtre ont déjà dû s’autodétruire et seules de jeunes civilisations peupleraient actuellement notre galaxie. » Quand la science nous dit de se méfier de la science.

Évidemment, il y a de bonnes raisons de célébrer l’exploit martien. Que Perseverance, le Laurent Duvernay-Tardif des robots, réussisse son atterrissage sur Mars est impressionnant. Ça demande une myriade de savoirs et talents humain. J’espère presque que le but ultime de tout ça est de se rendre jusqu’à Pluton pour lui apporter un livre de croissance personnelle: « T’es une planète! Crois en toi! »

La critique ici ne s’articule pas sur l’argent investi qu’on pourrait mettre ailleurs. Comme l’a souligné ma chatte Patti, championne de mathématique, même si on redistribue les 2,7 milliards de dollars américains de la mission Perseverance à des familles pauvres de climato-sceptiques du Texas pognées dans un banc de neige, ça ne règlerait pas tous les problèmes de la Terre. Bien vu Patti. Mais de penser qu’il n’y a aucun lien entre les enjeux sociaux planétaires et l’exploration spatiale relève d’une extrême naïveté jamais vue depuis que le Petit Chaperon rouge a confondu sa grand-mère avec un gros crisse de chacal. Même si les charognards fâchés des médias sociaux se reconnaissent dans ce conte, ils devront revenir à une certaine lucidité et constater que les activités spatiales sont aussi des objets sociologiques; que les techniques en lien avec la conquête spatiale constituent un moteur du changement social ici-bas pour le meilleur et pour le pire; que leurs impacts ont un effet sur des dimensions symboliques, économiques et sociales que l’on peut évaluer au-delà des évidentes retombées techno-scientifiques.

Ces joyeux naïfs, appelons-les : progressistes de l’espace. À l’image des progressistes terrestres qui croient que la croissance économique profite à tous et règlera les injustices sociales, ces progressistes de l’espace s’imaginent que plus l’humain étend sa croissance dans la conquête spatiale plus c’est bénéfique pour notre espèce. Plus vite, plus haut, plus fort, cette mentalité a tué notre planète, mais peut-être qu’appliquer dans l’espace, ça va fonctionner? « La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent », répétait en boucle Jean Leloup dans un café du Mile End.

Bien sûr qu’on doit tenir compte de la science. N’importe quel protozoaire en convient. Mais quelle science? Ou lesquelles? Et pour en faire quoi? Pour aller où? Cette coquine ne répond pas à toutes les questions. Faut jamais oublier que la science est également politique. Avec une superbe ironie, le mathématicien Roger Godement écrivait que de critiquer la science « cela ne se fait pas : la Science est politiquement neutre, même lorsque quelqu’un la laisse par mégarde tomber sur Hiroshima. » Il n’est pas rare que les progrès scientifiques servent à régler des problèmes causés par la science. La science a inventé des instruments pour détecter le cancer ainsi qu’une multitude de produits qui le donnent. Yeah. Des enfants cancéreux faméliques descendent dans les mines de métaux rares pour nourrir la techno-science servant la conquête spatiale. Qui osera leur dire à ces mômes qu’il suffit d’écouter la science? Il serait donc impensable de questionner une science capable de créer un bras spatial canadien, mais incapable de tendre la main pour nourrir tous les enfants du monde? C’est une simple question « d’intérêt », me direz-vous.

 Tous ces efforts dirigés vers la Lune et Mars n’ont pas seulement la science pour but: « il y a des raisons économiques et politiques, une volonté de conquérir l’Univers », pouvait-on lire sur le site de Québec Science. La science au service de l’économie de marché n’étanchera pas votre soif de connaissance, mais nourrira l’appétit infini du capital. « Nous devons étendre la présence de la civilisation humaine partout! » Vous raisonnez comme un cancer. Votre manque d’imagination fait honte à votre siècle. La question à se poser demeure: est-ce que la décroissance conviviale est soluble dans la conquête de l’espace?

L’histoire de la conquête spatiale est née de la Guerre froide : Spoutnik, Gagarine, Armstrong, Apollo 11 vs Ivan Drago… Même si l’aspect symbolique et idéologique est toujours présent dans la conquête spatiale, les temps ont changé. L’esprit de découverte et d’exploration ne peut justifier à lui seul la mise au point de programmes ambitieux et coûteux. Les investissements publics dans les grands programmes sont de plus en plus contestés, et la plupart des agences spatiales doivent justifier leur existence par les bienfaits qu’elles apportent ou pourraient apporter à l’économie capitaliste. Si auparavant cette conquête visait à afficher la supériorité d’une nation, aujourd’hui les multinationales tentent à leur tour d’imposer leur puissance. Cette nouvelle guerre des étoiles inclut les puissances nationales et privées. L’objectif ? Soumettre l’État au besoin des entreprises: le NewSpace!

Quelles innovations technologiques portent ce nouveau modèle commercial?

Les découvertes spatiales profitent aux entreprises privées. Le responsable du développement des vols commerciaux à la Nasa, Phil McAlister le dit clairement: « Nous avons toujours voulu ouvrir l’espace à une forme de commercialisation, cela fait partie de la charte de la NASA. (…) Nous transférons 50 années d’expérience de la NASA en matière de vol spatial habité au secteur privé. Nous espérons offrir un futur où n’importe qui, s’il a les ressources financières et en éprouve le besoin, puisse aller en basse orbite autour de la Terre. » L’invention du tourisme de l’espace, hôtels spatiaux et astronautes privés pour le plaisir de l’oligarchie. Merci la science! La promesse du privé est de casser les prix et de rendre l’espace accessible à tous ceux qui souhaitent s’y rendre, pour le plaisir ou pour affaires. Au moment où on remet en question l’utilisation des avions pour les vacances à Cancun, un nouveau marché, grâce au progrès scientifique, s’ouvre et nous offre d’aller en orbite. Et oui, ceux qui envisagent de fuir sont les premiers responsables du naufrage.

Militarisation de l’espace

Les USA disposent d’un complexe militaro-industriel historiquement très important où s’enchevêtrent les programmes publics de la NASA et l’industrie aérospatiale privée. L’administrateur de la Nasa, Sean O’Keefe, disait que « chaque nouvelle mission spatiale permettra de tester des technologies à visée tout à la fois civile et militaire. » Selon le programme Paix et sécurité internationales de l’Université Laval, il est estimé qu‘environ 90% des technologies spatiales peuvent avoir une utilité militaire. Toujours aucun lien entre destruction de la Terre et conquête spatiale? Il ne faut pas sous-estimer le rôle en relation publique de la Nasa pour rendre cela socialement acceptable. Coloniser Mars ne servira pas à créer des résidences d’écriture pour qu’un éphèbe de l’UDA compose des poèmes cosmiques. 

Un petit pas pour l’humanité, mais un grand pas pour le capitalisme 

J’imagine que les petits messieurs fâchés se disent avec candeur que les USA colonisent l’espace uniquement pour faire avancer la science et la qualité de vie de tous les humains comme ils ont colonisé l’Irak pour l’avancement de la démocratie.

Le codirecteur d’un centre de recherche de la NASA, M. John Lewis, vous confirme le contraire: « Il paraît impensable quun pays choisisse de consacrer dimportants crédits à lexploration spatiale par simple amour de la science. » Contrairement à Red Bull, l’amour de la science ne suffit pas à donner des ailes.

En 2015, Washington a adopté le SPACE Act. Cette loi affirme qu’un citoyen américain, ou une compagnie privée, peut, à des fins commerciales, « posséder, transporter, utiliser et vendre » toute ressource extraite de l’espace – à l’exception de la vie extraterrestre. C’est au moins rassurant pour E.T. qui ne se retrouvera pas kidnappé dans le coffre d’une navette pour être étudié ou cuisiné par Elon Musk.

L’avis des scientifiques risque de n’avoir que peu d’importance dans la bataille qui se lance vers Mars. Une bataille dictée autant par les enjeux économiques et politiques que par l’ego des personnes impliquées. Si, comme cela semble être le cas en ce moment, le secteur privé prend de plus en plus d’importance au détriment des agences spatiales, on peut s’attendre à une exploration guidée aux relents de ruée vers l’or. Québec science nous disait que cette nouvelle course à l’espace conduira à une foule de découvertes, tant technologiques que fondamentales. Mais comme ce fut le cas pour les premiers explorateurs qui ont traversé l’Atlantique, la motivation est davantage économique que scientifique. La première ressource que veulent extraire les minières de l’espace n’est pas un métal précieux, mais plutôt l’eau de la Lune. Cette eau ne servirait pas à abreuver l’humanité, mais à remplir les fusées pour des séjours de longue durée ou des voyages habités toujours plus loin.

Les entreprises privées qui sont les plus gros contractants de la NASA ramassent des milliards de dollars. C’est par exemple trois milliards de dollars à Lockheed Martin pour construire trois capsules Orion. Boeing, la compagnie aéronautique a signé un contrat avec la NASA (qu’elle partage avec SpaceX) afin de construire des « taxis de l’espace», qui serviront à conduire les astronautes jusqu’à la Station spatiale internationale. La Nasa parie désormais sur le secteur privé pour exploiter les ressources de la Lune, sous peu rebaptisée : L’astre Rio Tinto. Le milliardaire Naveen Jain, un ancien de Microsoft, affirmait que « la Lune recèle vingt fois plus de titane et de platine que nimporte quel endroit sur la Terre, sans parler de lhélium 3, un isotope rare dont beaucoup estiment quil pourrait être lavenir de l’énergie sur Terre et dans lespace. Notre ambition est de résoudre le problème de l’énergie sur la Terre en utilisant la Lune comme huitième continent» Toujours plus de matière première à consommer pour accélérer la mégamachine de l’apocalypse. Quant à M. Sergueï Brin, cofondateur de Google, il imagine, avec la complicité de la Nasa, attraper les astéroïdes « au lasso » et les remorquer sur une orbite terrestre pour en extraire les minerais. Les cowboys de l’espace, applaudis par les space-progressistes à la naïveté galopante, transforment le système solaire en far west.

 « Noubliez jamais que vis à vis de la technologie, la race humaine est comme un alcoolique devant un tonneau de vin. »

Theodore Kaczynski

 Conclusion d’un ignorant crasse pour les petits messieurs fâchés

Plus de croissance économique, de productivité, de puissance militaire, de mégalomanie, d’anthropocentrisme… Si on explore, exploite et colonise l’espace avec les mêmes logiques conquérantes qui détruisent la Terre en ce moment, alors c’est un progrès gangréné au service des exploiteurs et de l’écocide. Plus vite, plus haut, plus fort : Mars! Je dois être un genre de complotiste qui croit que la Terre est ronde, mais que la fin du monde est plate. François Forget, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique, nous prévient : « Cette perspective d’une planète de secours est séduisante, mais perverse. Cela pourrait laisser croire qu’il existera un plan B le jour où l’homme détruira la Terre – à cause du réchauffement climatique ou d’une guerre nucléaire, par exemple. Avant de vouloir coloniser Mars ou la Lune, tâchons de sauver notre propre planète. » Écoutons la science, la tête dans les étoiles et les pieds sur Terre. Je promets de célébrer lorsqu’un néo-luddite marchera sur la Lune.

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