
En juillet, puis en octobre derniers, une équipe multidisciplinaire de chercheurs, chercheuses, d’étudiants et d’étudiantes ont navigué dans l’estuaire du Saint-Laurent à bord du navire de recherche Coriolis II. La mission avait pour objectif de cartographier les fonds, de récolter du matériel sédimentaire, du phytoplancton et des données concernant les colonnes d’eau. Des instruments pour la collecte de données en continu ont également été installés afin d’étudier l’érosion et comprendre l’influence des vagues et des tempêtes sur la mobilisation des sédiments. L’équipe de recherche souhaite étudier l’influence des canyons sur les processus liés au mouvement des sédiments et des courants d’eau ainsi que la productivité biologique régionale.
Le projet, financé conjointement par le Réseau Québec maritime (RQM) et The Marine Environmental Observation, Prediction and Response Network (MEOPAR), vise également à exposer la population à la complexité unique de l’écosystème laurentien. Des créations littéraires, des réflexions éthiques et philosophiques découleront de ces recherches scientifiques et seront au centre d’un livre qui prendra forme au cours des deux prochaines années.
Collaboration peu banale, deux étudiantes à la maîtrise en lettres de l’UQAR ont participé à ces expéditions et développeront le concept de sédiment de manière bien particulière. Tina Laphengphratheng, sous la direction de Camille Deslauriers, traitera du carnet littéraire ainsi que de la « sédimentation » de sa démarche d’écriture. Voici un extrait de son journal de bord : « Les sédiments ont pour définition d’être des particules qui voyagent et qui finissent par se poser. Le sol marin est ainsi un amas de sédiments qui racontent des histoires. Plus le sédiment recueilli est profond, plus il est vieux. Les fictions qu’ils racontent sont en ordre chronologique. Chaque écrivain possède son lot de sédiments qui proviennent de lieux différents. » Pour Tina, le voyage en mer a été une source d’inspiration menant autant à la réflexion qu’à la création.
« j’ai pris une pelle
creusé mes fissures
mon corps comme un canyon
mon corps à ciel ouvert
j’ai déterré
les os les muscles les organes
fouillé la carcasse
rien
que de la terre sous mes ongles
je voulais savoir où gît la douleur »
Camille Bernier, sous la codirection de Kateri Lemmens et de Dany Rondeau, travaillera plutôt une approche écopoétique. Elle convoque l’image comme un outil — commun aux domaines scientifiques et littéraires — d’écriture et de navigation, qui permet, comme la métaphore, d’imager un phénomène et de lui offrir un nouveau sens. Elle s’intéresse également à la vulnérabilité sous différentes formes, notamment photographique : « la perte possible et permanente de savoir matériel et hypothétique informe de la valeur de la recherche qui se fait sur la viabilité de l’information, qui dépend de son propre environnement, lui-même délicat ». Un extrait de ses réflexions témoigne des liens tissés entre les membres de l’équipe malgré des domaines d’expertise assez éloignés : « Un des premiers liens que j’ai senti entre nos différentes recherches a été lorsqu’un membre de l’équipe a parlé du déploiement du mouillage comme de sa création qu’il devait laisser partir. Ce sentiment est bien connu de quiconque partage le fruit de son travail, peu importe sa forme. »
Kateri Lemmens trouve important ce projet dans le monde de la recherche et affirme que « cette approche très novatrice et très originale pourrait aussi inspirer de nombreux autres projets et groupes de recherche. En permettant une approche littéraire écopoétique d’un phénomène ainsi qu’un questionnement sur la notion de vulnérabilité à l’heure de l’anthropocène, on ajoute une manière créative et personnelle d’appréhender et de mettre en récit notre approche de l’écosystème du Saint-Laurent et de ce qui le transforme ». C’est ce qui donne tant de valeur à ce projet multidisciplinaire : offrir au public un accès à la science par l’art et une vision de l’art à travers des sujets scientifiques. C’est une rencontre entre plusieurs domaines parfois très hermétiques et qui, pourtant, traitent chacun à leur manière de notre relation au vivant et à la nature.