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Déclin du français au Québec : Frédéric Lacroix brise l’omertà

Par Jean-Francois Vallée le 2021/02
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Déclin du français au Québec : Frédéric Lacroix brise l’omertà

Par Jean-Francois Vallée le 2021/02


La revendication la plus urgente d’un groupe qui s’est repris est certes la libération et la restauration de sa langue.

– Albert Memmi, Portrait du colonisé, 1985

Quand on referme l’essai de Frédéric Lacroix Pourquoi la loi 101 est un échec, on ne peut que se sentir inquiet et préoccupé, voire consterné. Dans le contexte actuel, c’est cependant là un choc salutaire et nécessaire de nature à briser l’omertà linguistique, faisant craquer ce qui reste du vernis faussement sécurisant de la loi 101. En page couverture, on voit fort justement représenté le socle d’un buste de Camille Laurin en train de se faire ronger par un castor. Une image qui vaut mille mots.

Le propos de Lacroix est essentiel et très sensible pour tous ceux qui ont à cœur la pérennité du français au Québec. Chacun de ses constats claque comme un éperon. Laurin aurait par exemple frémi devant cette affirmation selon laquelle « le système d’éducation québécois prépare désormais tous les jeunes à travailler un jour en anglais », Lacroix mesurant ici les effets structurants de l’intensification tous azimuts de l’enseignement de l’anglais de la 1re année du primaire jusqu’à l’université.

Le chercheur présente les enjeux politiques et historiques qui se cachent derrière le déclassement progressif du français tant dans notre système d’éducation qu’en santé. En paraphrasant le Pierre Falardeau incisif du Temps des bouffons, Lacroix présente « toute la réalité linguistique du Québec pour une fois claire et nette, comme grossie à la loupe ». Avec une rigueur scientifique qui l’honore, le chercheur aligne statistiques, graphiques et tableaux synthèses éloquents identifiant les causes concrètes du déclin.

Soyez assurés qu’à la lecture, l’urgence linguistique nationale vous apparaîtra évidente.

Le recul du français

Lacroix démontre que, surtout depuis le référendum de 1995, « le français recule, et l’anglais avance. La minorité historique anglo-québécoise attire, dans ses cégeps, ses universités et dans son réseau de santé, plus de trois fois son poids ». Il qualifie ce surdimensionnement du réseau anglophone de « surcomplétude institutionnelle », phénomène qui lui assure dynamisme et vitalité. Conséquence : des centaines de milliers de francophones et d’allophones doivent gagner leur pain en travaillant en anglais au cœur de ce réseau où le français est relégué, au mieux, au statut de langue seconde, réalité qui nie de plein fouet le « droit de travailler en français1 » au Québec, pourtant garanti par la Charte de la langue française. Les agrandissements annoncés du cégep Dawson et de McGill contribueront puissamment à accroître ce phénomène.

On pourrait ironiser : un peuple qui décide de n’exister qu’à moitié ne peut guère convaincre plus que la moitié de ses immigrants d’adopter sa langue et d’adhérer à sa culture.

Quelques chiffres : pour une population anglophone de 8 %, le réseau collégial anglophone draine 19 % des effectifs étudiants totaux, soit un cinquième, et 25 % à l’université, soit le quart. Le financement fédéral accentue ce déséquilibre, le réseau anglophone accaparant plus de 38 % du total. Comme si McGill en avait besoin, elle dont la fondation gère une cagnotte de 1,7 milliard $, soit cinq fois plus que les 342 millions $ de sa plus proche concurrente, l’UdeM. Lacroix parle de « prime à l’aristocratie » : nos élus donnent plus aux universités déjà riches…

Étudier en français par dépit

 

Les cégeps et les universités publiques de langue française sont en train de devenir, à Montréal et de plus en plus à Laval et à Longueuil, la voie de desserte des études supérieures : au collégial, on étudie en français par dépit, faute de mieux, quand on a été refusé à Dawson, John Abbott ou dans l’un des trois cégeps du réseau Champlain Regional College. Depuis 1995, ce réseau a gagné 5 760 étudiants, et le réseau francophone, pourtant fort d’une quarantaine d’institutions, un misérable 303… Et les francophones et allophones qui les fréquentent sont maintenant largement majoritaires. À Québec, la clientèle du cégep Champlain St. Lawrence est désormais composée à 85 % de francophones. Pour l’instant, seul le béton empêche les admissions d’exploser dans les institutions anglophones. En attendant, elles écrèment les demandes en ne conservant que les meilleurs candidats. L’élite du Québec est de plus en plus formée… en anglais.

À l’université, McGill et Concordia, qui reçoivent la part du lion du financement fédéral (30 %) et provincial (25 %), ont respectivement déclassé l’Université de Montréal et l’UQAM tant en termes de financement que d’affluence. Sans compter le pactole que représentent les étudiants étrangers, prêts à payer le gros prix pour fréquenter nos universités anglophones : elles attirent 43 % de tous les étudiants étrangers du réseau.

Résultat : 45 % des allophones s’intègrent à la communauté anglophone en adoptant l’anglais à la maison. Pour conserver l’équilibre linguistique, rappelle Lacroix, il faudrait que ce nombre rejoigne la proportion d’anglophones, soit 10 %, et que 90 % s’intègrent à la majorité.

Dans toutes les autres provinces du Canada, y compris au Nouveau-Brunswick, l’anglais est et restera la langue de convergence de toutes les communautés. Au Québec, au contraire, il existe deux langues de convergence à armes inégales, l’anglais pouvant compter sur la survitalité de ses réseaux en éducation et en santé. La santé fait d’ailleurs l’objet d’un chapitre complet qui débouche sur des constats tout aussi alarmants.

La loi 101 charcutée

Du progrès majeur que représentait la Charte de la langue française (loi 101), création du ministre péquiste Camille Laurin en 1977, il ne reste qu’un mirage dangereux parce que trompeur, une « devanture intacte », mais vidée de son contenu. Alors que la Cour suprême du Canada l’a charcutée à maintes reprises dès 1979, et avec un acharnement renouvelé en 1982, à la faveur du rapatriement de la Constitution canadienne par Pierre Eliott Trudeau, le fait que son nom soit resté inchangé depuis procure aux Québécois un faux sentiment de sécurité. Elle ne protège plus efficacement le français, échouant à la tâche d’assurer l’équilibre linguistique. Bref, les Québécois s’enorgueillissent d’une coquille presque vide que Lacroix qualifie de « décor de théâtre ».

Rappelons pour mémoire que Christian Dufour avait déjà, en 2008, attaché le grelot, dans Les Québécois et l’anglais. Le retour du mouton. L’une de ses recommandations consistait à mettre fin à la liberté de choix linguistique au collégial public « si le pourcentage d’allophones scolarisés en français qui passent au cégep anglais dépasse 50 % ». Un peu plus de 12 ans plus tard, Lacroix nous apprend que sur l’île de Montréal, c’est déjà presque chose faite.

Oui, notre passé nous crie à quel point nous avons toujours eu peur de nous affirmer linguistiquement. Or, le soubresaut de fierté que fut la loi 101 ne fut suivi de rien : « Après son adoption, les élites québécoises abandonnèrent le combat pour la langue et choisirent de regarder ailleurs », laissant le champ libre à Ottawa pour la démolir avec acharnement.

Si Wilfrid Laurier a eu raison, dès 1867, de prédire que « la confédération serait la tombe de la race française et la ruine du Bas-Canada », il n’aurait pas pu deviner que le gouvernement du Québec allait lui-même détourner l’argent des francophones pour financer leur propre assimilation.

1. Conseil supérieur de la langue française, Vivre en français au Québec, 2020, www.cslf.gouv.qc.ca/vivre-en-francais-au-quebec/travail/

À suivre dans notre numéro de mars-avril, un dossier spécial sur la langue

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