
Lundi, l’Union des municipalités du Québec (UMQ) a lancé une campagne afin de contrer l’intimidation dont sont victimes les élus. Le maire de Matane, Jérôme Landry, a profité de l’occasion pour révéler qu’il a reçu plusieurs lettres anonymes contenant des menaces d’agression physique.
L’UMQ constate une « dégradation du climat politique dans de nombreuses municipalités ». Les réseaux sociaux sont notamment pointés du doigt par sa présidente Suzanne Roy comme vecteurs d’intimidation. Il n’est en effet pas nécessaire de chercher bien longtemps sur Facebook pour trouver des messages consternants dans lesquels se mêlent méchanceté gratuite, fausses accusations et insultes à l’endroit des maires et conseillers municipaux.
Certains élus ont toutefois remarqué que cette campagne ne faisait pas le tour de la question. C’est le cas de Virginie Proulx, conseillère municipale de Rimouski représentant le district du Bic. « C’est important de valoriser le respect. Les attaques personnelles, ça n’a sa place nulle part, en politique comme ailleurs. Mais j’ai l’impression qu’il manque une partie dans leur campagne de sensibilisation, c’est celle qui touche les élus entre eux », note-t-elle.
Par le passé, Mme Proulx a évoqué à plusieurs reprises l’intimidation dont elle aurait été victime lors de séances de travail du conseil municipal, tenues à huis clos, « où il n’y a aucun témoin, il n’y a pas de procès-verbaux, personne n’est filmé, il n’y a même pas d’ordre du jour public. Dans ces séances-là, il y a de l’intimidation qui se fait partout au Québec. » Elle a finalement été exclue de ces rencontres en mai dernier suite à un échange de courriels avec un citoyen
Dans les derniers mois, la mairesse de Sainte-Luce Maïté Blanchette Vézina et l’ex-maire de Saint-Paul-de-la-Croix Simon Périard ont également affirmé que les réunions derrière les portes closes menaient parfois à de l’intimidation entre élus municipaux.
« Tu comprends pas »
Quelle forme prend cette intimidation? Personne ne le dira clairement, car si un élu victime d’intimidation rapporte des propos insultants ou menaçants qui lui ont été adressés par un de ses collègues, il brise la confidentialité des échanges et s’expose à des poursuites!
À Témiscouata-sur-le-Lac, Annette Rousseau a été suspendue pendant 10 jours de ses fonctions de conseillère municipale. La raison? Elle a répondu à une question d’un citoyen concernant les projets d’aréna dans la ville, alors que le conseil municipal voulait que ses intentions (discutées dans des rencontres à huis clos) restent inconnues de la population.
Suite au référendum qui a finalement réglé cette question en novembre dernier, Mme Rousseau a démissionné. Sonnée par la défaite (elle défendait le non), elle ne supportait plus non plus l’ambiance autour de la table du conseil municipal, où elle se faisait régulièrement narguer et où elle constatait un manque de respect envers la population de son quartier, Notre-Dame-du-Lac.
« Je me faisais dire des choses comme « Bon, elle s’en souvient plus… » ou « Non Annette, tu comprends pas » », se souvient-elle. Ces petites remarques ont fini par lui pourrir la vie. « C’était rendu qu’à partir du jeudi, je pensais aux réunions du lundi soir et je dormais mal. C’est quoi que je n’ai pas compris? Pourquoi je suis tout le temps une deux de pique? C’est parce que j’étais contre eux autres! »
Tendre la main aux citoyens?
Sans excuser les dérapages des citoyens fâchés, Virginie Proulx aimerait que les élus fassent un effort pour comprendre pourquoi la population est parfois frustrée.
La pandémie et ses contraintes plombent assurément l’ambiance, mais ce n’est pas tout selon la conseillère du Bic : « Je suis convaincue que le manque de transparence peut choquer les citoyens. On le voit, la CAQ se fait attaquer là-dessus en ce moment. Les gens ont maintenant accès à tellement d’informations, vraies ou non, qu’on ne peut plus juste leur dire « Voici la vérité, avalez-la ». Ils veulent avoir un peu plus accès à ce qui se passe. »
D’autres élus arguent plutôt que si les débats du conseil municipal avaient lieu en public, cela nourrirait encore plus la machine à sortir les propos de leur contexte que sont les réseaux sociaux – le conseiller de Sacré-Cœur Sébastien Bolduc a notamment défendu cette position. Il existe également des craintes que des personnes se retournent contre un conseiller qui aurait voté contre leurs intérêts.
Virginie Proulx n’est pas en désaccord. « Effectivement, dans certains cas, on peut avoir peur de représailles, par exemple d’un promoteur dont le projet a été rejeté. Ça peut alors être justifié de proposer un huis clos. »
« Le problème, c’est que la totalité est à huis clos, poursuit-elle. Ça laisse une image d’opacité qui fait en sorte que les citoyens ont l’impression que quand ils apprennent la nouvelle, il est trop tard pour donner son avis. » À plus long terme, cela n’incite pas ces mêmes citoyens à se lancer en politique municipale, pense-t-elle également.
En mettant l’accès sur les messages que les citoyens envoient aux élus, la campagne de l’UMQ ne risque pas de mener à un débat en profondeur. Elle élude également un autre aspect de l’intimidation : celle que des élus font parfois subir aux citoyens sous la forme de menaces de poursuites. Par exemple, à Saint-Vianney, le maire a déjà envoyé une mise en demeure à un groupe de résidents du village qui a créé une page Facebook pour surveiller les activités du conseil municipal.