« L’humain est un être de symbole. Il est fasciné, structuré, construit par ses symboles. »
Aurélien Barrau
Disons-le d’emblée : la propagande bourgeoise est à la conquête constante de notre imaginaire. Je prends l’exemple de deux émissions de télés, l’une diffusée à Télé-Québec dans un décor majestueux accompagné d’une chorale et l’autre à Radio-Canada dans un restaurant chic, où l’on peut entendre des personnalités privilégiées et une écologiste libérale gémir contre « les gens » manquant d’engagement envers les enjeux écologiques. « Pourquoi les gens en font pas plus? Pourquoi les gens sont pas informés? Pourquoi rien ne change? », s’interroge l’élite culturelle déconnectée. Les deux émissions de télé dévoilent le même imaginaire : vin raffiné, cheveux soyeux, habits neufs, maquillage améliorant les traits, repas copieux, le tout entrecoupé de publicités réconfortantes de voyages santé dans le sud sur des plages immaculées et de balades familiales en VUS dans la nature. Cette mise en scène du luxe, le soin méticuleux de l’esthétique IKEA et l’allure distinguée contredisent totalement les propos de nos bourgeois sauce progressiste. « Pourquoi les gens ne capotent pas plus quand je leur parle de catastrophes écologiques en buvant ma coupe de vin nature et en rotant mon pavé de saumon dans un décor chic et calme entouré de vedettes souriantes et rayonnantes? Hein, c’est quoi leur problème? » Certains me répondront que c’est pas nouveau que la bourgeoisie se drape de moralité dans des draps soyeux sur un lit à baldaquin. C’est vrai. Mais que voulez-vous, je demeure un éternel optimiste. Je vois toujours la tête du bourgeois à moitié pleine.
Christian Bégin, depuis des années, mange des culs de porc façon pornographique live à la télé en se lichant les doigts juste avant de s’enfiler du foie gras et se demande, outré : « Mais pourquoi les gens ne font rien contre les changements climatiques? » C’est parce qu’on regarde pis on écoute la bourgeoisie, dont tu fais partie, nous reproduire un monde lisse, blanc, confortable, où l’humain contrôle la nature, où le vin coule à flot, où la viande se dévore sans tracas, où les supermarchés sont sacrés, le tout filmé dans de magnifiques maisons et de superbes décors. C’est de la dissonance cognitive. Quelques petites envolées pseudo-écolos ne rivalisent pas contre ces mises en scène.
La très talentueuse Christine Beaulieu, créatrice de la pièce culte J’aime Hydro, a fait preuve d’audace en liant de façon harmonieuse la sensibilité théâtrale et une enquête technique et contestataire à propos de cette grosse corporation nationale qu’est Hydro-Québec. Comme toute bonne chose ayant du succès en ce monde, l’artiste fut récupérée. D’abord par Hydro-Québec et ensuite rachetée par l’industrie de l’automobile. Madame Beaulieu est maintenant recyclée comme faire-valoir pour la PDG d’Hydro-Québec Sophie Brochu. Peu importe que la riche femme d’affaire ait fait carrière dans l’industrie polluante du gaz, prône le capitalisme et ne démocratise pas Hydro-Québec, la comédienne nous dit que c’est « l’une des femmes les plus inspirantes à mes yeux au Québec. » L’artiste engagée est également porte-parole pour la propagande mensongère des autos électriques, vendues comme « propres ». « Non, la voiture électrique n’est pas écologique », répète reporterre.net. Qu’importe, l’éco-bourgeoisie trouve ça beau pis pratique un char électrique, bon!
« On peut raser la forêt avec des bulldozers à l’énergie solaire : le bilan carbone est bon, mais le geste demeure dramatique. »
Aurélien Barrau, astrophysicien
La bourgeoisie est tellement habituée d’avoir un monde à son image et de voir ses symboles triompher, qu’il lui suffit de dire les mots environnement, éducation et amour pour se convaincre que c’est l’environnement absolu, l’éducation absolue, l’amour absolu, autrement dit : The Shit! Désolé, mais l’environnement, l’éducation et l’amour de François Legault, de Véronique Cloutier ou de Patrice Roy ne sont pas les miens. La vie réelle ne se joue pas sur le plateau de Tout le monde en parle où il suffit de dire « l’éducation, c’est important! » pour que le public robotisé applaudisse comme au mini-putt sans se demander : « Mais de quelle éducation parlez-vous? Sauver l’environnement, ça veut dire quoi? » Parce que Jean-Philippe Wauthier le dandy-bio va faire un saperlipopette de saut quand on va lui apprendre que de nous exposer à la télé son char électrique ultra luxueux, qu’il contrôle avec son iPhone, ne fait pas partie de la solution, mais du problème.
Pendant qu’à l’émission Coups de Food, Fabien Cloutier pis Sébastien Benoit déjeunent à la bavette et charcuterie comme deux hédonistes béotiens qui n’auraient pas reçu le mémo, 400 scientifiques du monde entier exigent dans une tribune « que les décideurs politiques ouvrent le débat sur l’effondrement de la société pour que nous puissions commencer à nous y préparer. »
Y’a pas une journée où télé, radio, Instagram ne nous bombardent pas de voyages en tout genre super attirants. Pis on se surprend qu’en conséquence, des snowbirds, malgré les catastrophes écologiques malgré la pandémie mondiale, aillent se faire bronzer les grains de beauté à Cuba? Souhaiter à ces oiseaux migrateurs un joyeux cancer de la peau ne suffit malheureusement pas.
L’industrie culturelle bourgeoise est une méga-porcherie où des êtres vivants sensibles sont élevés, maltraités puis abattus. Fondée sur l’inégalité, le privilège et la recherche du profit, elle doit être décolonisée. Pour qu’ensuite, notre imaginaire soit décolonisé. Et facultativement, peut-être, nous aider à agir pour sauver la biodiversité.
« Des cadavres qui donnaient leurs points de vue cadavérique sur les activités mortifère d’autres cadavres. »
Bukowski