
Les amateurs de bière artisanale ont peut-être remarqué une nouveauté dans les dépanneurs de la région cette semaine : des canettes provenant de la microbrasserie Le Ketch ont fait leur apparition au milieu des centaines d’autres produits disponibles.
Disposant d’un permis d’artisan brasseur, comme 73 autres établissements au Québec, l’entreprise de Sainte-Flavie n’avait jusqu’à présent le droit de vendre ses produits qu’entre ses murs, soit aux clients venus profiter d’une pinte, soit pour emporter.
Voté vendredi dernier, le projet de loi 72 a desserré cet étau et permet désormais aux artisans brasseurs d’écouler leur production dans des épiceries et des dépanneurs.
Profiter des crises pour innover
« On est dans une période qui force la réflexion, qui permet d’assouplir la loi », se réjouit le copropriétaire du Ketch, Jean-François Fortin, qui voit là un coup de pouce bienvenu. En forçant la fermeture des bars, le passage en zone rouge a en effet été un coup dur pour son établissement, qui avait reçu plusieurs partys de bureau l’an dernier.
Plus tôt en 2020, Le Ketch s’est distingué par son originalité pour traverser la période difficile du confinement. « Au printemps, on a acheté tous les pots Mason d’un litre du Bas-Saint-Laurent pour livrer notre bière à domicile », rappelle M. Fortin.
En même temps, la microbrasserie s’est dotée d’une « encanneuse », mais l’importer des États-Unis a pris du temps. La livraison de canettes sur le perron des clients a été abandonnée au début de l’hiver, puisque le précieux liquide peut geler.
Cependant, toutes ces péripéties ont permis à l’entreprise d’être fin prête pour distribuer ses bières une fois le projet de loi voté. Une exception parmi les artisans brasseurs, remarque Jean-François Fortin : « Tout le monde n’est pas capable de distribuer, parce qu’il faut s’équiper en machinerie et en canettes, il faut faire produire des étiquettes conformes aux normes, signer une entente de recyclage avec Recyc-Québec… Dans le meilleur des cas, ça prend facilement deux mois pour remplir les exigences. »
La Captive y réfléchit
À Amqui, les propriétaires de La Captive n’en sont qu’au stade de la réflexion. Eux aussi ont un permis d’artisan brasseur et n’ont jamais embouteillé jusqu’à présent.
Selon le copropriétaire Alexandre Pineau, le passage de la Matapédia en zone rouge a été une « claque dans la face », mais la situation de l’entreprise n’est pas critique car « le côté restaurant est très populaire dans la région ». Les clients peuvent en profiter pour faire remplir un cruchon en venant chercher leur plat, mais aucun service de livraison n’est disponible pour l’instant, faute de main-d’œuvre.
Avec une production très faible (autour de 18 000 litres par année), cela ne vaut peut-être pas la peine pour La Captive de mettre des brassins en canettes. Mais M. Pineau est quand même intéressé par l’idée de vendre ses produits dans quelques dépanneurs du coin lors de la saison touristique, histoire de se donner un peu de visibilité.
Livraison maison… en attendant de grossir
Il serait de toute manière compliqué pour une petite brasserie comme La Captive de viser un marché plus grand que celui de la vallée de la Matapédia : selon la loi 72, les artisans brasseurs n’ont pas le droit de faire affaire avec des réseaux de distribution, un privilège réservé aux titulaires du permis de brasseur – ils sont plus de 200 au Québec, et cela inclut aussi bien Molson que Le Bien Le Malt ou La Fabrique.
Limités à des circuits courts, c’est donc les employés du Ketch eux-mêmes qui vont livrer leurs bières dans les dépanneurs de la région. Mais cela ne devrait pas durer : la jeune microbrasserie (elle a ouvert en juin 2018) va bientôt rejoindre la cour des grands en acquérant une usine à Mont-Joli, qui lui permettra de tripler voire quadrupler sa production.
« L’offre d’achat est acceptée, le matériel est commandé », dit Jean-François Fortin qui vise la mi-mai pour le premier brassin. L’usine aura alors un permis de brasseur tandis que le broue-pub conservera le permis d’artisan brasseur, et se spécialisera dans les expérimentations. Comme d’habitude, finalement…