
Plus l’élève est en classe, plus il profite de facteurs de protection et plus son développement est assuré; un propos qui génère l’unanimité en 2020. Depuis toujours, l’école est une valeur refuge lorsqu’il s’agit de prendre en charge un enfant ou un adolescent. Augmenter le nombre d’heures par semaine en classe rehausse le volume des apprentissages; c’est scientifiquement démontré3 (étrange que nous ayons besoin de la science pour confirmer des évidences… l’intuition n’est pas garante de vérités, ça aussi, 2020 nous l’aura appris).
En 2006, Lucien Bouchard déplorait le fait que les Québécois travaillaient statistiquement moins que les Ontariens et les Américains. Il voyait là une nuisance à la prospérité de la province. À gauche, à droite ou au centre, les réactions fusèrent rapidement. Le patronat fut ravi, les syndicats atterrés et les économistes s’empressèrent de sermonner : « Il y a plusieurs façons de mesurer la productivité. La plus courante consiste à diviser la valeur de production par le nombre d’heures travaillées1 . » Quelques heures après cette déclaration, un coup de sonde de Léger Marketing montrait que son propos ralliait 30 % de la population2.
Si on fait un parallèle avec le monde scolaire, on peut se demander pourquoi au Québec, on doit se contenter du fait que la semaine d’un élève au primaire et au secondaire comporte 25 petites heures de classe (23 heures et demie au préscolaire). Parler de productivité dans les écoles, est à mes yeux une aberration mais voilà où nous mène l’économie et cette envie de prospérité.
Fort heureusement, lorsque des solutions pour hausser la diplomation sont recherchées, l’idée d’augmenter le nombre d’heures passées en classe n’est pas retenue. Ici, ni la productivité ni le développement intégral de l’individu ne passent par une plus grande présence de l’élève à son « travail scolaire ». Voilà le paradoxe : l’enfant ne doit être à l’école pour sa santé et son développement que pendant 25 heures. Pourquoi pas davantage, pourquoi ce minimum? Notre société ne jure que par la diplomation, nos gouvernements, nos gestionnaires déterminent avec ce critère l’efficacité du système… en plus, bien sûr, du critère de l’atteinte de l’équilibre budgétaire. C’est la formule triple zéro et 100 : zéro déficit, zéro décrocheur, zéro équité scolaire et 100 % de productivité. Voilà notre mentalité : on souhaite une école publique efficace sur le plan de la diplomation, sur le plan des soins qu’elle apporte aux élèves, on souhaite que les enfants soient bien qualifiés, instruits et, en ces temps d’atomisation des sociétés, socialement aptes. Si en tant que collectivité, notre leitmotiv est la productivité et la rentabilité , alors inéluctablement nous devons augmenter le nombre d’heures de classe des élèves. Il n’y a pas d’autres réponses. On s’en tient toutefois à ce sophisme qu’est le copier/coller car on croit que changer les choses est exigeant, lent et insécurisant. Pourquoi le totalisateur est-il bloqué à 23,5 ou à 25 heures de services éducatifs hebdomadairement et à 180 jours de classe par année? D’où nous vient cette programmation scolaire?
Le rythme de scolarisation qui prévaut au Québec dérive de celui des Américains. Le modèle américain est fondé sur des recommandations « savantes » qui font qu’au Québec en 2020, la semaine de classe compte cinq jours et que les vacances estivales et intermédiaires sont celles auxquelles les Québécois sont abonnés. Ces notions « savantes » furent notamment celles d’Edward Jarvis dans les années 1870 qui, après avoir étudié 1 741 cas de démence, conclut que l’excès d’étude était responsable de 205 d’entre eux. Il écrivit : « L’éducation jette les bases d’une forte proportion des causes de désordre mental4. » Ces données furent reprises par le commissaire américain à l’Éducation en 1871. Horace Mann écrivait au même moment et dans le même pays : « Il n’est pas rare que la santé même soit détruite par la surstimulation de l’esprit. » Quel était le remède à ces dangers? De longues vacances d’été. Ce point de vue de la belle époque ne fut pas qu’américain, il fut aussi européen, mais il semble qu’il ait épargné l’Asie. Pour preuve : en Asie, les vacances se limitent à quatre ou cinq semaines (Japon ou Corée du Sud)5. Au Bas-Saint-Laurent, nos élèves ont droit à neuf semaines de vacances scolaires l’été : vive les « Amaricains »!
Le rapport Parent (1963-1965) a déclenché l’abandon du modèle éducatif émanant de France pour progressivement lui substituer un modèle pragmatique américain centré sur l’adaptation aux exigences économiques et utilitaristes (le néolibéralisme)6.
Pour les tenants d’une augmentation du nombre d’heures et de jours d’école, l’idée que le modèle actuel découle d’approximations scientifiques du XIXe siècle conforte leur position : il n’y a que des gains de productivité dans le rehaussement des heures de classe; plus d’heures d’études riment avec plus de diplomation et plus de richesses économiques. Pour bien d’autres, et j’en suis, ce qui les rallie à l’idée d’augmenter le temps de présence en classe, c’est la recherche de plus d’humanité et un gain de bienveillance. « Faire n’est pas l’objectif de la vie. L’objectif est l’enchantement d’être », dixit Thomas d’Ansembourg. Réconcilier ces vues n’est pas utopique (à ce sujet, lire sur les écoles publiques KIPP7). Prenons toutefois garde d’être hypnotisés par l’illusion d’un changement qui sauverait tout, genre une commission Parent 2.0. Que ce soit pour un groupe ou pour l’autre, « changer quatre 30 cents pour une piastre » est nettement insuffisant; ils connaissent cette recette, on la leur a déjà servie. Et la dynamique des années 1960 n’est certes pas celle de notre époque tourmentée, désaxée vers la productivité. Alors augmentons afin, non pas de faire plus, mais plutôt pour connaître cet enchantement.
1. Claude Picher, « Pas juste une question d’heures », La Presse, octobre 2006,
www.lapresse.ca/debats/200901/09/01-693097-pas-juste-une-question-dheures.php
2. « Trois Québécois sur dix d’accord avec Lucien Bouchard, » TVA Nouvelles, octobre 2006, www.tvanouvellesca/2006/10/17trois-quebecois-sur-dix-daccord-avec-lucien-bouchard
3. Simon Calmar Andersen, Maria Knoth Humlum, Anne Brink Nandrup, « Increasing instruction time in school does increase learning », PNAS, juillet 2016, www.pnas.org/content/113/27/7481
4. Malcolm Gladwell,. Les prodiges : pourquoi les qualités personnelles et le talent ne suffisent pas à expliquer le succès, Montréal, Transcontinental, 2009.
5. Bernadette Plumelle, « Un aperçu des rythmes scolaires dans le monde », Revue internationale d’éducation de Sèvres, septembre 2011, doi.org/10.4000/ries.2045
6. Yves Le noir, « Le rapport Parent, point de départ de l’ancrage de l’école québécoise dans la logique anglophone nord-américaine », Revue canadienne de l’éducation, vol. 28 no 4, 2005, www.jstor.org/stable/4126449?seq=1
7. kipp.org/schools/