
On pourra dire que cette pandémie aura révélé les failles dans nos certitudes et mis en lumière de nombreuses incohérences dans notre mode de vie, aussi appelé normalité. Des gens essentiels qui ne gagnent pas assez pour bien vivre, mais qui ont tout de même tenu bon seuls au front, pendant que nous, chacun et chacune chez soi, encaissions le coup des ordres sanitaires. Des réseaux de distribution alimentaire mondialisés, déracinés et complexes; l’incroyable fragilité de notre chaîne d’approvisionnement. Des champs inutiles laissés à l’abandon faute de main-d’œuvre. Des terres agricoles sur lesquelles se fait de la spéculation, faute de repreneurs. Des riches qui profitent de la crise pour faire encore plus de profits. Finalement, la COVID-19 aura mis en évidence la nécessité de tout changer en profondeur, pour accroître notre autonomie et préserver notre écosystème.
La question de l’autonomie alimentaire est centrale. Elle rappelle l’importance de l’accès à de la nourriture de qualité à bon prix, partout sur le territoire, et en tout temps. Mais cette question concerne aussi nos moyens de production et leur apport à l’économie et à l’occupation du territoire. Cette autonomie alimentaire n’en serait pas une si on reproduisait le modèle de dépendance aux marchés extérieurs, même à ceux de Montréal ou de Québec.
PRODUIRE EN SERRE
Les astres semblent s’aligner au Bas-Saint-Laurent depuis quelques mois. Tant le Collectif régional de développement que la Table des élus ont défini la production d’aliments en serre à l’année comme l’un des trois principaux axes de développement pour notre région. De plus, la région vient tout juste d’être reconnue comme FabCity, ce qui positionne le BSL comme première FabRégion au Canada et rejoint les communautés sur la planète qui visent 50 % d’autonomie alimentaire, manufacturière, énergétique, locale d’ici 2054.
On ne saurait parler d’autonomie alimentaire sans que cela passe par une « autonomisation » des différentes communautés territoriales et par une prise en charge collective. En ce sens, il faut souhaiter que ceux qu’on appelle désormais les « gouvernements de proximité », les municipalités régionales de comté (MRC), s’emparent de cet objectif et travaillent avec leurs communautés sur la meilleure façon de déployer l’autonomie alimentaire sur leur territoire. Il faudra de l’audace, de l’innovation et bien sûr des moyens.
En fait, il serait simple de laisser des multinationales de l’alimentation s’imposer partout dans le paysage avec des projets industriels sans réelles racines dans leur territoire d’accueil. C’est ce qu’on a fait avec certains projets éoliens, qui ne génèrent que peu d’activité économique dans les secteurs où ils sont installés. C’est justement cette incongruité qu’il faut corriger, nous devons désormais exiger que les communautés soient au centre des enjeux de développement qui les concernent au premier plan.
L’approche de la CAQ en développement régional semble s’appuyer sur « les champions » de l’économie régionale, qui sont pour la plupart des hommes et des femmes d’affaires, et sur une définition purement économique de ce que doit être ce développement. L’absence de membres de la société civile et de représentants et de représentantes de l’économie sociale n’a rien pour nous rassurer et nous amener vers un leadership rassembleur qui pourrait insuffler une étincelle créatrice. Cette étincelle devra venir de nous-mêmes, et le plus tôt possible.
Le premier ministre Legault a proposé d’offrir les tarifs industriels préférentiels d’Hydro-Québec à l’ensemble des projets serricoles au pays. C’est un bon début, mais ce n’est assurément pas suffisant. Notre climat hivernal nécessite l’utilisation de beaucoup d’énergie pour alimenter un réseau de serres nourricières partout sur le territoire du Québec : de l’énergie renouvelable pour chauffer, ventiler et éclairer la production d’aliments frais, disponibles à l’année et offerts dans des circuits courts et simples. On souhaite une autonomie alimentaire qui s’appuie sur la technologie et sur de l’énergie disponible chez nous. Encore la semaine dernière, Hydro-Québec annonçait des surplus énergétiques de 32 TWh, soit plus de 12 % de toute l’électricité produite au Québec.
Il faut que les MRC mettent en tête des priorités l’enjeu de l’autonomie alimentaire, et elles ont la responsabilité de proposer que ces projets génèrent une grande activité économique sur les territoires où ils seront implantés. Pourquoi ne pas viser une propriété collective des moyens de production, en limitant la participation du privé à un rôle d’actionnaire minoritaire et en misant sur des outils comme la Caisse de dépôt et placement pour fournir des capitaux publics? Pourquoi ne pas lier les projets de développement éolien à ces projets de serres nourricières en assurant des avantages quant à l’approvisionnement en électricité? Et tant qu’à rêver, pourquoi ne pas trouver comment tirer profit de ces moyens de production pour développer un secteur tertiaire moteur – celui des équipementiers et des firmes d’ingénierie spécialisées, qui sont des contributeurs importants à l’atteinte de nos objectifs de développement durable.