
Le Mouton Noir pacage en campagne… plus précisément à Rimouski, dans la région rurale du Bas-Saint-Laurent. Il était inévitable qu’il s’intéresse à l’agriculture tout au long de son parcours, et aux nombreux débats dont ont été l’objet les agriculteurs au cours des vingt-cinq dernières années, débats très souvent liés aux questions d’environnement et de ruralité.
LA NAISSANCE DU BIO
En 1995, lorsqu’est né Le Mouton Noir, on était, au Québec, au début de la remise en question de l’agriculture industrielle. L’agriculture biologique prenait son envol : les premières certifications et appellations, la vie des sols, le compost, l’alimentation santé, l’autosuffisance alimentaire, le retour à la terre. Le Doc Landry, dans ses chroniques, avait encore en mémoire fraîche le soleil de sa commune jardinière des Plaines, et un chroniqueur nous écrivait de la Bergerie….
LA GUERRE DES COCHONS
L’opposition à l’« agrobusiness » (l’agroalimentaire) ne tarda pas à se concrétiser dans une guerre contre les porcheries industrielles qui allait soulever les villageois les uns contre les autres pendant une dizaine d’années. Le Mouton en porte les traces. Ces nouvelles porcheries aux milliers de porcs, sous gestion liquide des fumiers, introduisaient un nouveau modèle d’élevage hors-sol dans lequel les éleveurs étaient réduits à un rôle de sous-traitants à forfait pour de gros intégrateurs qui possédaient les meuneries, les animaux et les abattoirs et exportaient la majeure partie de leur production. La quantité astronomique de lisier, chargé de phosphore et d’azote, devant être épandu sur des espaces réduits mettait en danger la santé des sols et des sources d’eau ainsi que la qualité de l’air. De plus, le peu de main-d’œuvre requise dans ces établissements tournés vers l’extérieur marginalisait les fermes familiales traditionnelles et perturbait profondément l’équilibre des petites communautés agricoles.
L’installation au Témiscouata d’un intégrateur porcin agressif, Lucien Breton, en plus des projets promus par les coopératives régionales comme Purdel ou Dynaco firent du Bas-Saint-Laurent l’épicentre de ce conflit social popularisé par l’excellent documentaire de Latulippe, Bacon, le film. Sainte-Luce-sur-Mer et Saint-Germain-de-Kamouraska, où eut lieu le premier rendez-vous « Sauver les campagnes » en 1998, furent le théâtre de deux combats épiques avec les autorités municipales et gouvernementales. Le CRE du Bas-Saint-Laurent, animé par Luce Balthazar, s’impliqua à fond dans le débat qui allait mener à la fondation de l’Union paysanne en 2001, à un moratoire sur la production porcine et à un BAPE générique sur le développement durable de la production porcine en 2002, lequel redonna aux municipalités le pouvoir d’encadrer les porcheries et les épandages, et même de les interdire dans les territoires en surplus de phosphore.
S’OPPOSER À L’AGRICULTURE INDUSTRIELLE
Le mouvement de contestation allait se préciser lors d’une vaste consultation publique sur l’avenir de l’agriculture au Québec : la commission Pronovost, qui, après avoir entendu près de 800 mémoires dans toutes les régions du Québec, déposait en janvier 2008 un rapport remarquable dans lequel elle recommandait une diversification du modèle agricole et de multiples réformes visant à permettre le développement d’une agriculture écologique de proximité et une meilleure protection de l’environnement rural. On parle encore de ce rapport qui proposait d’abolir le monopole syndical de l’Union des producteurs agricoles, mais le syndicat a systématiquement fait obstacle à son application.
LA NOUVELLE PAYSANNERIE
La résistance de l’UPA n’a pas empêché les jeunes, surtout, de multiplier les expériences de petites fermes écologiques ou biologiques de proximité qui alimentent les marchés locaux et préparent la transition vers une agriculture écologique d’autosuffisance locale. Les articles du Mouton Noir qui font écho à cette petite révolution en marche ne se comptent plus : pour n’en citer que quelques exemples, un dossier du Mouton Noir en 2011 portait le titre «Les jardiniers de la belle saison», et un autre en 2014, «L’agriculture dans tous ses états».
PESTICIDES ET QUALITÉ DE L’EAU
La région du Bas-Saint-Laurent a été pionnière dans la lutte contre l’utilisation des pesticides dans les arrosages forestiers et la foresterie en général : Le Mouton a justement rendu l’an dernier un vibrant hommage à Léonard Otis, l’homme derrière l’ouvrage Une forêt pour vivre. La région a aussi été une pionnière dans le dossier des pesticides en agriculture, de la protection des cours d’eau, du bien-être animal, de la détresse chez les agriculteurs. Vincent Breton, un des fils de l’autre (Lucien), installé dans la région de Rivière-du-Loup, est devenu le plus important producteur de porc biologique au Canada (un demi-million de porcs bio ou nature par année). La production biologique, les marchés publics, les fermiers de famille, les serres, les petits élevages émergent de plus en plus dans les paysages du Québec, même si tous déplorent que l’UPA et le ministère de l’Agriculture tardent toujours à leur faire une place dans les institutions et les programmes publics.
LE MOUTON BIENVEILLANT
Le Mouton a été, tout au long de son parcours, le témoin et l’accompagnateur de cette longue marche vers une transition écologique et territoriale de notre agriculture, et il continuera sans aucun doute à l’être avec l’engouement nouveau pour l’autosuffisance alimentaire.
Dans le contexte du monopole de l’UPA et de La Terre de chez nous, Le Mouton Noir, « journal indépendant plus mordant que le loup », a été l’une des rares tribunes libres où les opposants ont pu s’exprimer sans trop de risques. À titre de cofondateur de l’Union paysanne, je suis un de ceux qui a pu en profiter à de nombreuses occasions et je suis heureux d’avoir ici l’honneur, au nom de tous mes confrères paysans, de remercier chaleureusement notre Mouton bienveillant!