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LES QUÉBÉCOIS MÉRITENT-ILS LE « DROIT À LA NATURE »?

Par Rémy Bourdillon le 2020/09
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LES QUÉBÉCOIS MÉRITENT-ILS LE « DROIT À LA NATURE »?

Par Rémy Bourdillon le 2020/09

La Gaspésie aime les touristes, mais elle n’était pas prête à recevoir le flot de vacanciers que la pandémie de COVID-19 et la fermeture des frontières lui ont amené. Tout le Québec s’est retrouvé dans des campings qui ont vite affiché complet, et les histoires de touristes mal élevés se sont multipliées. Voitures sur les plages, déchets et excréments abandonnés, réservoirs septiques de véhicules récréatifs versés dans le fleuve, tapage nocturne…

Les autorités locales ont réagi, comme à Rimouski où camping et stationnement de nuit ont été interdits dans plusieurs secteurs. Pour parler pompeusement, les actes d’une poignée de goujats ont justifié des limitations au droit d’accès à la nature de tous les autres visiteurs… sauf qu’un tel droit n’existe pas au Québec, à l’inverse de certains pays d’Europe. En Suède par exemple, ce droit est inscrit dans la Constitution depuis 1994. Concrètement, une personne a le droit de marcher, faire du vélo, skier ou camper n’importe où, à l’exception des jardins privés, des environs immédiats d’une maison, des terres cultivées et des zones protégées.

Les Québécois ont montré qu’ils ne sauraient user convenablement d’un tel droit, penserez-vous peut-être? Auteur et chercheur en éducation relative à l’environnement à l’UQAM, grand voyageur et adepte de vie en camion aménagé, Thierry Pardo prend le problème autrement. Sans nier que des questions d’éducation personnelle sont en jeu, il voit dans les événements de cet été les symptômes d’un problème collectif que les Québécois ont vis-à-vis de la nature. En effet, ils envisagent souvent cette dernière sous l’angle de la propriété privée, avec un « rapport de colon » (au sens propre du terme), c’est-à-dire d’appropriation.

Les premiers Européens qui s’installèrent au Québec vivaient dans le dénuement et combattaient un climat terrible, alors qu’un pourcentage infime de fortunés contrôlait commerce et industries. À mesure que la classe moyenne a émergé et que le Québécois moyen s’est enrichi, « les gens se sont rués sur ce qu’ils voyaient comme des privilèges de riches, affirme Thierry Pardo, c’est-à-dire leur petit lac privé, avec leur plage privée, etc. Ce qui fait qu’on se retrouve avec un accès à la nature qui est extrêmement difficile ». Ironiquement, la plupart des Québécois ne s’en rendent pas compte, ayant toujours eu accès au chalet familial. Mais c’est une chose qui surprend les nouveaux arrivants : au pays des lacs, il est parfois ardu de trouver un accès à l’eau pour se baigner gratuitement. « Ta plage privée, j’en suis privé », résume le chercheur.

RÉAPPRENDRE À PARTAGER LA NATURE

Quel lien avec nos vandales de vacanciers? « Le rapport privatif à la nature engendre le fait que les gens vont n’importe où faire n’importe quoi, assène Thierry Pardo. Il y a quelque chose qui relève du tort partagé entre les politiques publiques et le comportement de l’abruti qui laisse ses canettes de bière. » La solution, selon lui, serait de mettre à la disposition des voyageurs des lieux où ils peuvent vivre une relation plus harmonieuse à la nature, qui ne soient ni la « cathédrale » du parc national ni le camping privé. Des endroits où l’on se sent le bienvenu, où on peut profiter d’un bord de mer ou de rivière, aller aux toilettes, vidanger ses eaux usées, et repartir sans avoir rien abîmé.

C’est un peu à cette conclusion que sont arrivées plusieurs municipalités, qui ont ouvert des « campings de débordement » où les touristes pouvaient dormir. À Grande-Rivière par exemple, on a installé des toilettes chimiques, des tables à pique-nique, des abris pour barbecue. Une quarantaine de touristes ont payé 15 $ pour dormir là, argent qui a été versé au conseil de fabrique.

Un exercice tout de même délicat, souligne le maire Gino Cyr, car les campings du coin pourraient y voir de la « concurrence déloyale ». Pour contenter tout le monde, la municipalité donnait les numéros de téléphone des campings privés aux touristes avant de les diriger vers le site de débordement, histoire de s’assurer que ceux-ci étaient bien complets. « Je pense que tout le monde était content », avance M. Cyr, qui n’exclut pas de répéter l’expérience l’an prochain.

Thierry Pardo, lui, est parti sur la Côte-Nord où il a découvert un rapport plus pacifié à la nature que dans le reste du Québec : d’immenses plages désertes, de grands espaces qui sont restés à l’écart des logiques d’appropriation. Mais pour sa vie de tous les jours, il s’est résigné à acheter quelques acres dans le bois, participant en quelque sorte à entretenir le lien curieux du Québec à son territoire. « Je n’ai pas trouvé d’autre solution, confesse-t-il. À part l’éducation, comme projet à long terme. Ça commencerait par l’éducation des dirigeants. » Pas facile, dans un pays où l’on a tendance à ne voir le territoire que comme des ressources à exploiter : mines, forêts, pêche, et maintenant tourisme. Le voyageur est peut-être devenu un consommateur comme les autres, avec tous ses défauts.

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