
Depuis 30 ans, j’exerce un métier qui ne s’apprend pas à l’école : transmettre le goût de lire aux enfants. Au fil de mes rencontres, j’ai réalisé que la lecture à voix haute était la meilleure façon de mettre en scène le plaisir de lire.
Lire à voix haute fait de nous des magiciens. Nous métamorphosons en histoires les signes noirs et monotones qui défilent à la queue leu leu sur le papier. En dépliant les mots, nous révélons leur pouvoir. Lisez le mot « forêt » et des milliers d’arbres apparaissent, lisez le mot « étoiles » et c’est la Voie lactée qui se déroule, lisez le mot « clé » et ouvrez la porte d’un passage secret.
La lecture à voix haute déballe les histoires, met l’enfant en contact avec l’expérience du lecteur, lui donne accès à des histoires qu’il ne peut pas découvrir seul, déverrouille son imagination, l’initie à l’agencement des mots, au rythme des phrases, aux silences aussi qui attisent la curiosité. Guidé par l’inspiration de l’auteur et par la voix du lecteur, l’enfant s’éveille à d’autres réalités, décuple son attention, avive sa sensibilité. Chaque page tournée est un moment haletant. Il s’invite dans l’histoire, se glisse dans la peau des personnages, épouse leurs manières, partage leurs émotions. Il est ailleurs. La lecture à voix haute fait pousser le goût de lire.
Puis, un jour, l’enfant accède à la magie, découvre le fameux code secret… à lui les histoires!
Pendant que notre apprenti lecteur met les efforts pour maîtriser le code, ne rangez surtout pas votre voix, continuez à ouvrir les livres avec lui. Il a encore besoin d’un guide pour devenir magicien. Maîtriser la lecture peut prendre du temps. Chaque enfant a son rythme.
Le livre épaissit, les images disparaissent, et il arrive que l’enfant, même plus vieux, ne soit pas prêt à s’y aventurer seul. Pourtant les images sont à portée de voix. Seulement, pour retrouver la magie, il faut glisser sur les mots. Donnez-lui encore du temps, n’éteignez pas votre voix, sinon l’enfant n’a plus accès aux histoires.
Lire à voix haute démocratise la lecture. Lisez à un groupe d’enfants et aucun ne se sentira exclu : ni l’enfant qui n’aime pas lire, ni celui qui en a perdu le goût, ni l’enfant pour qui les mots sont du charabia et les livres des coffres-forts. L’enfant, tout à coup, devient lecteur par le truchement de votre voix. Plus rien ne fait obstacle à l’histoire, il peut enfin suivre le fameux fil et profiter de l’aventure. Surtout, se reposer de l’obligation de tout retenir et de la peur de ne pas comprendre. Découvrir le simple bonheur de lire.
Lire à voix haute crée des liens. D’étrangère que je suis, quand je rencontre un groupe d’enfants pour la première fois, je deviens une amie, une fois l’histoire racontée. Mon plus grand plaisir, c’est de détacher les yeux du texte pendant la lecture et d’observer les enfants. Leurs yeux brillants me ramènent à l’essentiel : l’émerveillement. L’adulte qui lit à haute voix se met à hauteur d’enfance. Il consent à entrer dans l’imaginaire et l’enfant reconnaît son semblable. Voilà bien la plus belle des rencontres.
Merci aux éditions Dominique et compagnie d’avoir créé la collection « À voix haute » qui me permet, en tant qu’autrice, de sensibiliser parents et intervenants à l’importance de cette approche de la lecture.