
Lorsqu’il parle de friches agricoles, Donald Dubé emprunte un ton alarmiste : « Pour plusieurs de ces terres, il est minuit moins cinq ». Copropriétaire de la ferme du Vert Mouton à Saint-Valérien, il est bien placé pour en parler : « J’ai une vingtaine d’hectares que je n’utilise pas mais que je fauche chaque année. Si tu voyais à quelle vitesse la forêt veut se réapproprier nos terres… C’est hallucinant. »
La nature a horreur du vide, dit-on. Pour elle, un champ non entretenu est un espace à combler. Les herbes l’envahissent, la forêt avoisinante étend ses racines sous la prairie, des rejetons d’arbres poussent, et le travail acharné de générations d’agriculteurs est détruit en peu de temps…
Un inventaire des terres agricoles dévalorisées (TAD, le terme technique pour nommer les friches agricoles) a été mené en 2015 par la Table de concertation bioalimentaire du Bas-Saint-Laurent. Ce travail a permis de constater que « près de 8000 hectares de terres agricoles sont abandonnés dans la région, et que plus de 80% de celles-ci présentent un potentiel de remise en production allant de “moyen” à “très élevé”. »
Une telle information brise le cœur de Donald Dubé, défenseur devant l’éternel de l’autonomie alimentaire : ce sont autant de surfaces de qualité perdues pour produire des aliments, à l’heure où le Québec réalise qu’il doit moins dépendre des importations de nourriture. Mais tout cela ne se fera pas en claquant des doigts, prévient le fermier : « Pendant qu’on discute et qu’on traine, tout ce que font ces terres, c’est dépérir. Plus les années passent, plus ça va demander de temps et d’argent pour les remettre à niveau. » Remettre un hectare en état de produire est une tâche colossale, pouvant nécessiter une pelle mécanique et impliquer des coûts de plusieurs milliers de dollars.
Dans Les Basques, des signaux positifs
Depuis quelques années, la question des terres en friche s’est tout de même taillé une place dans les Plans de développement de la zone agricole (PDZA) des MRC du Bas-Saint-Laurent. Dans celui de la MRC des Basques par exemple, on peut lire que « l’enjeu des TAD est prioritaire ».
Les actions semblent à la hauteur des paroles : sur 1487 hectares de friches agricoles qui avaient été répertoriés en 2013, « à peu près 600 ont été remis en culture de différentes façons », dit l’agent agricole de la MRC, Giovanny Lebel. Des agriculteurs ont notamment récupéré des prés pour s’assurer un approvisionnement en foin, production qui a été malmenée par des sécheresses successives au cours des dernières années.
Il n’y a cependant pas que des bonnes nouvelles dans ces 600 hectares : jusqu’à 75 d’entre eux sont retournés à la forêt, et une centaine sont devenus la propriété d’une entreprise de la Montérégie qui cultive des céréales avec un modèle qui ressemble à celui du géant Pangea. Si cela sauve des champs de la friche, les profits engendrés ne restent toutefois pas dans la région.
Pour les quelque 800 hectares qui restent, la MRC étudie la possibilité d’établir une filière de petits fruits, en partenariat avec le cégep de Victoriaville (qui donne une formation dans ce domaine) et l’Atelier de transformation agroalimentaire des Basques. « On regarde du côté des terres dévalorisées parce que c’est souvent des petites superficies, en-dessous de 10 hectares, explique M. Lebel. Cela peut être intéressant pour des gens qui veulent faire du maraîchage ou de la culture de petits fruits. »
Les jeunes agriculteurs, une population clé
En d’autres termes, les friches pourraient devenir une aubaine pour attirer de jeunes agriculteurs en démarrage. Cela est aussi vrai ailleurs dans la région : dans le PDZA de la MRC de Rimouski-Neigette, on peut lire que six TAD sur dix ont moins de 10 hectares, et que « la grande majorité de ces terres sont situées à Rimouski et à Saint-Anaclet-de-Lessard. » De petites superficies, à proximité du marché de Rimouski… que demander de mieux quand on se lance en agriculture?
Donald Dubé va plus loin : pour lui, il faudrait investir dès maintenant dans ces lots, les cultiver en foin et les entretenir. « Ainsi, ça reste des terres de qualité, et quand le jeune Francis sortira du cégep de Victoriaville dans deux ou trois ans, il aura accès à une terre prête à produire. » Un plan de gestion des friches doit être développé rapidement au niveau provincial, martèle-t-il : « Ce n’est pas un problème propre au Bas-Saint-Laurent : en Abitibi-Témiscamingue ça doit être la même chose, et au Lac-Saint-Jean probablement aussi. »
Mais M. Dubé sait que s’attaquer à cette question ne sera pas simple : « Ces terres ont beau être abandonnées, elles appartiennent quand même à du monde. Il va falloir rencontrer ces gens et leur expliquer pourquoi on les remettrait en production, dans une perspective d’autonomie alimentaire. C’est pour cela que l’État doit intervenir : les terres agricoles servent à nourrir, alors même si elles sont la propriété d’individus, elles demeurent de l’ordre du bien commun. »