
Lorsque vient le temps de préparer une salade, on n’y réfléchit même pas : l’huile d’olive s’impose bien souvent. Bien que savoureuse, celle-ci est cependant importée du bassin méditerranéen, où les champs d’oliviers sont organisés sous forme de monoculture. À l’heure de l’engouement pour les produits locaux à moindre impact environnemental, il est peut-être temps d’essayer une alternative 100% bas-laurentienne et artisanale, à savoir l’huile de cameline.
Elle aussi originaire d’Europe, mais nécessitant beaucoup moins de soleil que l’olive, la cameline est une plante de la famille des brassicacées, comme le chou, le colza ou la moutarde. En juillet, elle donne une fleur jaune qui se transforme en une petite gousse comportant une demi-douzaine de grains. À partir de ceux-ci, on produit une huile très riche en oméga-3, réputée excellente pour la santé, aux arômes complexes d’asperge et de noix.
Au Québec, on doit l’introduction de la cameline à Jerry Busine, un agriculteur de Matane qui se spécialisait dans l’élevage de vaches Highland (les écossaises aux longues cornes). Toujours à la recherche de nouveaux projets, il essaie de cultiver cette plante inconnue du grand public dès 2011. Depuis, les vaches ont été vendues, M. Busine a quitté la ferme, mais son ancien associé Olivier Chaumont, 28 ans aujourd’hui, a poursuivi la culture de céréales biologiques : colza, lentilles noires, sarrasin, avoine nue (aussi appelée riz gaspésien) et, donc, cameline.
Le nom de l’entreprise agricole, lui, est resté le même : Nature Highland, référence à des vaches qui ne sont plus là depuis belle lurette. C’est dans les projets d’Olivier Chaumont de le changer, « mais c’est beaucoup de paperasse » et, il ne s’en cache pas, ce n’est pas son fort. C’est plutôt un gars de terrain, et il est bien assez occupé avec le sien en ce moment : la ferme, éparpillée entre plusieurs champs en location entre Matane et Saint-Ulric (et un bâtiment à Matane), est en train d’être rapatriée vers le rang de Baie-des-Sables où vit le jeune producteur. Un tout nouveau bâtiment est en construction, et la machinerie devrait y être transférée sous peu.
Une culture à défricher
La cameline trouve sa place dans une rotation de cultures, mais ce n’est pas une plante facile à faire pousser, confie Olivier Chaumont – c’est d’ailleurs pour cette raison que le colza a fini par la supplanter. « Elle n’est pas très compétitive avec les mauvaises herbes, donc tu peux te faire envahir assez vite. Elle n’a pas beaucoup de rendement au départ, et un petit peu de maladies, on ne sait pas trop par quoi c’est causé. » C’est le problème des productions marginales : peu d’études sont publiées sur la cameline. Alors Olivier teste des rotations, des associations, à la recherche de la formule idéale, dont il approche un peu plus chaque année.
Pour le pressage de l’huile, par contre, il a déjà trouvé la bonne méthode : une vis sans fin qui comprime le grain et donne à peine un litre d’huile par heure, selon un principe d’extraction à froid 100% mécanique. Culture, pressage, filtrage, embouteillage et vente : Nature Highland fait tout de A à Z.
Sandra Inniss, la copine d’Olivier qui a déménagé à Baie-des-Sables juste avant le confinement, s’occupe de faire connaître l’huile de cameline dans les marchés de la région, à Matane, Sainte-Flavie ou Rimouski. Son but? « Faire comprendre aux gens qu’on peut jouer avec l’huile de cameline », c’est-à-dire qu’il ne faut pas hésiter à l’essayer de plusieurs manières différentes. Le point de fumée de ce corps gras est à 200°C, ce qui est plus élevé que l’huile d’olive, donc elle peut aussi être utilisée pour la cuisson. Mais certains ne se donnent même pas la peine de chercher des recettes, à en croire Olivier : « J’ai des clients qui prennent une cuillérée tous les matins, pour avoir leur apport quotidien d’oméga-3. »
Entre restaurateurs et marchés publics, la petite production (1500 litres par an) d’huile biologique se vend facilement. Mais, au moment où d’autres commencent à produire de l’huile de cameline en grosse quantité, comme Oliméga en Montérégie ou la ferme Tournevent au Saguenay-Lac-Saint-Jean, il n’est pas dans les plans de Nature Highland de l’augmenter.
À Baie-des-Sables, Olivier Chaumont est loin des marchés urbains, alors il n’a pas d’idées de grandeur : ce qu’il veut, c’est continuer à diversifier sa production et essayer d’autres cultures, comme les pois à soupe cette année. « Faire des choses que les autres ne font pas », résume-t-il. Ainsi, même sans vaches, il reste fidèle à l’histoire de Nature Highland, qui a été créée comme une « ferme expérimentale » il y a une décennie.