
Élue lors des élections de novembre 2019, la députée bloquiste d’Avignon-La Mitis-Matane-Matapédia, Kristina Michaud, affirme avoir rempli sa promesse de mener une campagne électorale carboneutre en plantant 51 arbres dans sa circonscription dans les derniers jours.
Mme Michaud a-t-elle vraiment atteint la carboneutralité avec ces plantations? C’est ce que Le Mouton Noir a voulu vérifier.
Les arbres se comportent comme des « puits de carbone » en absorbant le CO2 de l’atmosphère. Une étude publiée en juillet 2019 dans la revue Science affirmait que « la restauration des arbres fait partie des stratégies les plus efficaces pour atténuer le changement climatique ». Selon celle-ci, planter plus de mille milliards d’arbres sur la planète permettrait de capter les deux tiers du carbone que l’humanité a émis dans l’atmosphère. Actuellement, les forêts n’en captent que 25%.
Dans les dernières années, plusieurs programmes sont apparus pour permettre aux citoyen·ne·s de compenser leurs émissions de gaz à effet de serre (GES), notamment lorsqu’ils prennent l’avion. On calcule la quantité de CO2 qu’émet un voyage, on en déduit le nombre d’arbres qu’il faut pour l’absorber, et le client verse une somme au programme de compensation qui s’occupe des plantations. Il peut s’agir de vastes étendues entièrement reboisées, de petits parcs municipaux ou simplement de rangées d’arbres.
Kristina Michaud a consommé 1050 litres de carburant en sillonnant les routes de sa circonscription lors des 40 jours de la campagne fédérale, ce qui a émis 2,415 tonnes de CO2 (à titre de comparaison, un aller-retour Montréal-Paris en avion émet 1,9 tonne par passager). L’équipe de la députée nous indique avoir ensuite fait ses calculs (qui ont été vérifiés par l’organisme de bassin versant Matapédia-Restigouche) en utilisant les données de l’organisme Carbone Boréal de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), qui fournit un calculateur afin de déterminer le nombre d’arbres à planter : pour 2,415 tonnes de CO2, il en faut 17.
Carbone Boréal plantes des arbres au-delà du 49e parallèle et base ses calculs sur une épinette noire, alors que Kristina Michaud a décidé de planter des saules osiers au Bas-Saint-Laurent. Faire une équivalence entre ces deux espèces est « hasardeux », selon le directeur de la Chaire en éco-conseil de l’UQAC et père de Carbone Boréal, Claude Villeneuve. Il n’est toutefois pas exclu que cela joue en faveur de la députée, dans la mesure où les saules, arbres à croissance rapide, pourraient capter plus de CO2 que les épinettes du Grand Nord pendant leurs premières décennies de vie (une étude plus poussée serait nécessaire). Et Kristina Michaud n’a pas lésiné sur les moyens : elle a décidé de tripler ce nombre de 17, afin de « couvrir plus largement les émissions de CO2 dues à la campagne électorale (bénévoles allant aux bureaux, transport des électeurs par des bénévoles le jour du vote, installation et enlèvement des pancartes, etc.) ». Cela donne donc un total de 51 arbres.
Planter soi-même, pas une bonne idée
Les saules ont été plantés à Sainte-Flavie avec l’aide d’élus locaux (le maire Jean-François Fortin et le préfet de la MRC de La Mitis Bruno Paradis). L’endroit est symbolique : durement touchée par l’érosion côtière, cette municipalité s’est fixé comme objectif de devenir carboneutre dès 2022. Cette mise en scène n’est cependant pas du goût de Claude Villeneuve, qui insiste sur l’importance de passer par un organisme comme le sien pour s’assurer que les arbres ne soient pas coupés avant qu’ils aient mené à bien leur mission de stockage (Carbone Boréal fait ses calculs en considérant que les arbres vivent 100 ans).
Du côté du bureau de la députée, on assure que la municipalité de Sainte-Flavie va assurer le suivi et l’entretien. « Une municipalité peut être un organisme crédible, commente M. Villeneuve, mais s’il n’y a pas de garantie (par exemple par règlement municipal) que cette plantation-là sera conservée jusqu’en 2120, peut-être que le conseil municipal de 2112 ne va se rappeler de rien, et va passer le bulldozer dedans… Surtout qu’on parle d’arbres qui n’ont pas de valeur commerciale. »
Une autre critique est régulièrement faite à la compensation carbone : puisqu’elle corrige une émission de CO2 déjà faite, certains considèrent qu’elle ne sert qu’à s’acheter une bonne conscience. « Il faut réduire avant tout nos émissions de GES, qui sont devenues tellement grandes qu’on ne pourra jamais assez compenser », préconise plutôt le titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal, Pierre-Olivier Pineau, dans un article du Devoir.
Cela est vrai pour le voyage en avion que l’on peut éviter, mais Mme Michaud pouvait-elle se passer de parcourir 15 000 km dans son immense circonscription, qui va de Saint-Donat à Maria? Être moins présente sur le terrain l’aurait peut-être privée de victoire. Et le véhicule qu’elle a utilisé, une Ford Focus, est relativement peu énergivore pour les standards d’aujourd’hui.
Verdict : si les arbres restent en place pendant une centaine d’année à Sainte-Flavie, on pourra estimer que Kristina Michaud aura rempli sa promesse de faire une campagne carboneutre. Les efforts de la députée sont louables et pourraient inciter d’autres candidat·e·s à faire la même chose. Mais attention : il serait préférable de travailler avec des organismes certifiés, à la méthodologie éprouvée, afin d’éviter que les plantations faites à la va-vite, sans garantie de survie, ne se multiplient.
Notons que la députée a suivi cette voie pour ses quatre bureaux de comté, qui sont certifiés carboneutres par l’organisme Carboneutre Québec. Ce dernier plantera des arbres pour compenser les déplacements de Mme Michaud et son équipe, ainsi que l’énergie liée aux activités des bureaux.