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La science a-t-elle trahi nos attentes?

Par PATRICK FORTIER-DENIS le 2020/07
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La science a-t-elle trahi nos attentes?

Par PATRICK FORTIER-DENIS le 2020/07

Jean-Marie Vigoureux vient de faire paraître chez Écosociété Détournement de science. Être scientifique au temps du libéralisme, qui pose globalement la question suivante : « La science a-t-elle trahi nos attentes? »

L’ouvrage fait d’abord un historique des influences entre la science et les systèmes politico-économiques depuis l’époque de la Révolution française. L’auteur se base sur les théories économiques de Smith et sur les combats ouvriers issus de l’exode rural en France afin de montrer comment les progrès techniques ont été pris en otage pour le profit individuel de certains acteurs. Puis, avec quelques exemples plus modernes, il expose comment le problème a été déplacé, plutôt que réparé, par la montée du globalisme. On présente également l’idée d’une concertation mondiale afin d’éviter les errances scientifiques. Les interactions entre la société humaine et les développements scientifiques et techniques sont complexes et remontent assurément à une époque antérieure au 18e siècle, elles auraient mérité un ouvrage à elles seules. De plus, l’auteur doit parler de ce qu’il connaît et Jean-Marie Vigoureux est assurément français, ce qui donne l’impression qu’il offre un portrait bien limité des interactions historiques sur le sujet, surtout lorsqu’il parle de progrès et de confort en ayant une vision encore plus limitée, axée sur le 20e siècle. Tout cela, sans compter qu’on ne fait nulle part mention d’autres sociétés que l’Occident, sauf pour l’époque moderne.

La deuxième partie de l’ouvrage traite de cas présents d’abus de la science visant à subvenir aux impératifs de profit et de gouvernance. Le chapitre 6 est, je pense, le plus évocateur sur le plan de ce qui ne fonctionne pas dans l’exercice de la science moderne. Il y est question de la cote h des scientifiques, basée principalement sur le nombre d’articles parus et non sur leur importance scientifique et leur qualité. Cela a comme effet d’entraîner une baisse de qualité et un manque d’innovation dans les articles parus. L’auteur constate également que les imposantes charges administratives des chercheurs les distraient de leurs objectifs scientifiques. Bien que très intéressant, ce chapitre est très court, et je trouve que M. Vigoureux a manqué une occasion d’approfondir le sujet. En effet, le concept d’attaques contre la science apparaît à quelques reprises dans le livre, et bien qu’il en fasse mention rapidement au chapitre 7, l’idée de l’attaque contre la crédibilité des experts scientifiques n’est que peu explorée. Est-ce qu’en connaissant mieux leur réalité, les gens ont raison de mettre en doute ce que les experts disent? Comment, comme société, peut-on soutenir la science et s’assurer que les scientifiques restent éthiques et travaillent pour améliorer réellement la connaissance? Par ailleurs, je dois dire que le chapitre 5 m’a semblé plutôt faible. Des énoncés anecdotiques, des généralisations, des réflexions faciles en remplaçant des mots dans des citations, des exemples de solutions techniques respectant difficilement la seconde loi de la thermodynamique empêchent ce chapitre de faire mouche.

La dernière partie de l’ouvrage se lit un peu comme une ode à la science, dans laquelle l’auteur présente les bienfaits de la méthode scientifique dans le développement des esprits et de l’engagement citoyen. Il construit sur la méthode scientifique, tel qu’à l’époque des Lumières, pour nous mener vers l’étude des causes et effets et ensuite poser la question au cœur de l’essai : la science et l’économie libérale sont-elles compatibles? En se basant sur l’historique proposé dans la première partie et sur le principe de faire la science dont on a besoin et non pour le profit, l’auteur constate leur incompatibilité. Pour justifier cette position, il écrit également que certaines valeurs de base n’ont pas changé et ne changeront pas, pourtant il a précédemment mentionné une influence mutuelle entre les valeurs, les sciences et la société. Enfin, en tentant de répondre à cette question, l’auteur lance plusieurs autres interrogations pertinentes, et je crois que ce sont ces questions qui sont les éléments les plus intéressants de ce livre.

Somme toute, Détournement de science est une lecture intéressante afin d’entamer ou de poursuivre une réflexion sur la place qu’occupe la science dans notre société. Malgré que l’auteur se lance parfois dans toutes les directions et quelques lacunes sur le plan de la structure, la richesse du sujet et certaines réflexions font réagir et vont assurément intéresser le lecteur.

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