
Du haut de ses 26 ans d’expérience en tant qu’ouvrier forestier, Serge Desrosiers a vu passer beaucoup de jeunes travailleurs dans les forêts du Bas-Saint-Laurent. « Avant, ils se décourageaient et partaient au bout d’une semaine ou deux… Cette année, on est déjà à la quatrième semaine et ça “toffe”. » Le métier n’a rien de facile : il fait 29ºC à Saint-Marcellin, où M. Desrosiers est en train de planter des arbres, lorsqu’il nous parle au téléphone.
Particularité du domaine forestier, les ouvriers sont payés à la tâche, c’est-à-dire en fonction du nombre d’hectares débroussaillés ou d’arbres plantés, un système jugé « désuet » par Laurent Gagné, conseiller scientifique au Collectif régional de développement (CRD) du Bas-Saint-Laurent. Depuis un mois, un nouveau mode de rémunération est testé dans le but d’attirer les jeunes, mais surtout de les fidéliser : pour les trois prochaines années, ils seront payés à taux horaire. Ce projet pilote, coordonné par le CRD, est le résultat d’une concertation impliquant notamment des employeurs, des travailleurs, des élus et le ministère de la Forêt, de la Faune et des Parcs. Il bénéficie d’un financement de 3,2 millions $ de la part du gouvernement provincial.
Cette initiative vise à répondre à un gros problème : le nombre d’ouvriers forestiers « fond comme neige au soleil » au Bas-Saint-Laurent, explique Laurent Gagné. « Il y a trois ans, il en restait encore entre 350 et 400; on est rendu autour de 180. » Ces travailleurs sont pourtant essentiels pour faire toutes les tâches dont les machines ne peuvent pas s’occuper : reboiser, débroussailler autour des semis, et faire de l’abattage manuel dans certains secteurs (ceux qui sont humides, par exemple). Ils sont à la base d’une pyramide qui peut être affectée dans son entièreté s’ils viennent à manquer, selon M. Gagné : « Si l’aménagement ne se fait plus, il va y avoir moins de bois dans les usines de sciage. Donc des gens vont perdre leur travail. »
Des résultats déjà épatants
Garder les plus expérimentés est aussi un objectif de ce projet pilote, dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre. Ainsi, Serge Desrosiers bénéficie maintenant d’un salaire horaire tout en étant encore payé à la tâche. En d’autres termes, il peut améliorer sa paie en étant davantage productif sans jamais tomber en dessous d’un certain niveau. Cela permet notamment à ce résident de Saint-Narcisse-de-Rimouski d’être payé lorsqu’il se déplace d’un chantier à un autre, ce qui n’était pas le cas auparavant.
Quant aux ouvriers en fin de carrière, ils sont payés à l’heure selon un taux personnalisé, calculé en fonction de leur historique (90% de leur moyenne des trois dernières années), dans le but de repousser leur départ à la retraite de quelques années.
Le recrutement des participants à ce projet pilote a eu lieu à partir de février, et a été un franc succès : « On s’était dit qu’on serait heureux avec 50 à 60 ouvriers, et que 100 serait tout un exploit, se souvient Laurent Gagné. À notre grande surprise, on a atteint la centaine de participants, soit près de deux tiers de nos effectifs, malgré le fait que beaucoup d’ouvriers ont pris leur retraite ou ont quitté le métier. » La grande majorité sont des gens qui travaillaient déjà comme ouvriers forestiers, et qui ont accepté de changer de mode de rémunération. Mais cela inclut aussi une quinzaine de nouvelles embauches, ce qui en dit long sur le pouvoir d’une rémunération attrayante pour régler les problèmes de pénurie de main-d’œuvre.
Au cours des trois prochaines années, les ouvriers forestiers participants seront rencontrés régulièrement par une psychosociologue, qui mesurera leur niveau de satisfaction. Si les résultats sont concluants, ce nouveau mode de fonctionnement pourrait être étendu à l’ensemble du secteur forestier du Québec.