Cet été, la Vieille Gare de Rivière-Bleue, au Témiscouata, n’ouvrira pas ses portes. En effet, les bénévoles qui s’occupent de la boutique d’artisanat à l’entrée de ce musée dédié au chemin de fer et à l’histoire locale sont tous des ainés, et sont donc considérés comme des personnes à risque.
« Les gens ont une peur énorme du virus, notamment parce qu’ils devraient être en contact avec les fournisseurs », dit la présidente de la Corporation du patrimoine de Rivière-Bleue, Marielle Landry. Or, « les bénévoles sont absolument nécessaires : cela fait 15 ans qu’on marche quasiment à 100% avec du bénévolat. »
Sans cette main-d’œuvre volontaire, il incomberait au seul employé (un guide étudiant embauché pour l’été) d’accueillir les visiteurs, de s’assurer que les directives sanitaires sont bien appliquées, et de désinfecter les lieux. Sans compter qu’il est interdit d’utiliser les tout nouveaux audioguides. Alors, plutôt que d’offrir une expérience tronquée, la Corporation du patrimoine a décidé d’annuler sa saison et de se concentrer sur des démarches pour devenir un musée reconnu par le ministère de la Culture.
Au Bas-Saint-Laurent comme ailleurs, les retraités forment une très grosse partie du contingent des bénévoles. « Le patrimoine, c’est nos vieilles affaires, ça n’intéresse pas beaucoup les jeunes », dit Marielle Landry, 75 ans. Dans le conseil d’administration qu’elle préside, presque tout le monde a plus de 70 ans. Et ils risquent de manquer cruellement à mesure que le déconfinement avance.
Vague de solidarité
Le directeur général du Centre d’action bénévole Rimouski-Neigette, Bernard Poirier, tient à déboulonner une idée reçue : il est faux de dire que les jeunes ne font pas de bénévolat. Ils sont notamment très présents dans les comités d’écoles, les CA de garderies, le sport… Et quand la crise a commencé, énormément de Québécois ont donné de leur temps pour aider leur prochain. « Ce n’est pas vrai qu’on vit dans une société où tout le monde est indifférent du sort des autres. La crise nous prouve le contraire. »
Un phénomène de vases communicants a notamment opéré, selon M. Poirier : « Étant donné que les clubs sportifs, les groupes culturels ou d’autres activités ont été stoppés, des gens qui étaient bénévoles pour ces organisations se sont impliqués ailleurs. Au lendemain de l’annonce du confinement, on a eu plusieurs dizaines d’offres sur la plateforme jebenevole.ca. »
« En ce moment, les activités reprennent. Ce qu’on sent, c’est que les gens qui sont venus nous donner un coup de main en temps de crise retournent à leur implication habituelle. Je salue le fait qu’ils soient fidèles à leur engagement. » Mais puisque le virus peut revenir à tout moment, la cohorte des 70 ans et plus n’est pas de retour, ce qui va laisser un trou pour un moment : « Pour certains c’est une raison de santé, pour d’autres c’est parce qu’il ne veulent pas contaminer quelqu’un de leur famille. Il y en a qui sont prêts, on les réintègre prudemment. »
Pas de pénurie, mais un surmenage des bénévoles
M. Poirier se refuse toutefois à parler de « pénurie de bénévoles ». Le nombre de personnes prêtes à offrir de l’aide gratuitement est à peu près stable d’année en année, explique-t-il – et les ainés finiront bien par recommencer, une fois la pandémie derrière nous. Ce qui change, c’est qu’il y a de plus en plus de travail à faire. « On répond à des demandes qui étaient assumées par l’État il y a 10 ans! On ne peut pas tout faire, et l’effet de ça, c’est qu’il y a des personnes qui doivent trouver d’autres solutions à leur problème. » La crise économique majeure qui succèdera au confinement n’arrangera certainement pas les choses.
M. Poirier aimerait que le bénévolat soit maintenant mieux reconnu dans la société, car cette dernière ne pourrait fonctionner sans lui. Cela signifie l’encourager (en bonifiant les prêts et bourses pour que les jeunes aient plus de temps à offrir, par exemple), mais pas le marchandiser. Il n’a d’ailleurs pas apprécié que le gouvernement Trudeau offre des bourses de bénévolat allant jusqu’à 5000$ aux étudiants.
« Ce n’est pas la bonne porte d’entrée, soutient Bernard Poirier. S’il y en a un qui vient ici dans le but d’obtenir cette bourse, on va avoir une bonne discussion : tu ne veux pas faire du bénévolat, tu veux 5000 piastres! Peut-on nommer les choses correctement? » Dans le cas contraire, on ajouterait au malheur d’un monde qui en a bien assez, pour paraphraser Albert Camus…