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Au Bic, les vers de terre produisent leur « or noir »

Par Rémy Bourdillon le 2020/05
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Au Bic, les vers de terre produisent leur « or noir »

Par Rémy Bourdillon le 2020/05

Sur le rang des Chénard au Bic, la ferme Eugénia ressemble à n’importe quelle autre exploitation agricole des environs : personne ne pourrait imaginer que trois à quatre millions de vers de terre vivent à l’intérieur de cette grange blanche. Il s’agit en quelque sorte des travailleurs de Johanne Dubé, qui occupe l’emploi peu banal de productrice de fumier de vers de terre. Son « or noir » est prisé par les producteurs biologiques, petits ou grands. Parmi ses clients, on retrouve des petites fermes locales comme le Vert Mouton à Saint-Valérien, mais aussi des gros joueurs comme les tomates Savoura et la ferme des Quatre-Temps de Jean-Martin Fortier, ce qui en dit long sur la qualité du produit. 

Pourtant, « j’ai fait rire de moi quand je me suis installée, en 1991 », se souvient-elle. À cette époque, elle commence par produire du jus d’herbe de blé, un liquide riche en chlorophylle auquel on attribue des vertus détoxifiantes et anti-cancérigènes. Cinq ans plus tard, elle se lance dans l’élevage de vers de terre, qui vivent aujourd’hui dans plus de 325 « condos », ainsi qu’elle appelle les caisses de bois qu’elle remplit de matière organique afin de nourrir cette tribu. Que mangent-ils exactement? « C’est mes recettes, tout du bio », dit Johanne Dubé. Mais difficile de lui tirer les vers du nez. On apprendra que cela peut inclure des copeaux de bois et du fumier d’origine animale, entre autres.

Le procédé est simple : une fois leur repas digéré, les lombrics font leur besoin, en surface – il leur faut environ deux mois pour manger le contenu d’une caisse remplie de matière organique. Au contact de l’oxygène, leurs déjections se minéralisent (donc deviennent assimilables par les végétaux). En passant le contenu du « condo » dans une machine formée de tapis roulants et de tamis, fabriquée sur mesure par une entreprise du Bic, on parvient à récupérer le fumier de ver de terre – en fait, à en extraire les bestioles et le restant de leur nourriture. Ce produit a la texture d’un terreau et est riche en azote, en phosphore et en potassium.

À la fin de sa vie, Charles Darwin a étudié les lombrics, les surnommant « les intestins de la Terre », et a démontré leur importance pour la formation des sols. « De tous temps, on a mangé de la végétation empreinte du microbiote des vers de terre, ce qui fait qu’il est intimement lié au nôtre », affirme Johanne Dubé. Mais l’agriculture industrielle se fait sur des sols morts, qui ne permettent aux végétaux de pousser qu’à grands renforts d’engrais. À terme, cela nous empêche de régénérer notre microbiote, et menace notre santé, pense-t-elle.

Une demande exponentielle

Mais les choses changent, et depuis sa grange du Bic, Mme Dubé est bien placée pour l’observer. Cette année, ses ventes explosent. Le centre jardin Fred Lamontagne de Rimouski lui a déjà acheté deux fois plus de son fumier de vers de terre que dans toute l’année 2019. Elle commence à entreprendre des travaux d’agrandissement, qui vont lui permettre de tripler sa production. Pas mal, pour celle qui avait commencé en vendant sa production à un magasin de culture hydroponique de Montréal couru par les cultivateurs amateurs de cannabis.

Et aucun doute qu’elle arrivera à tout vendre : il faudrait qu’elle ouvre des succursales pour être capable de fournir les serres qui vont pousser comme des champignons partout au Québec prochainement. L’engouement pour le jardinage a été démultiplié par la pandémie de covid-19. « On vit un éveil qu’on n’a jamais vécu, dit Johanne Dubé. Il y a vraiment une dynamique joyeuse qui se met en place. Et plus il va y avoir du monde qui va aimer jardiner, plus on va se détourner de la mafia de l’agro-industrie. »

On peut trouver le fumier de vers de terre de la ferme Eugénia dans les centres jardins, mais il est également possible de se rendre directement sur place au Bic. Comme ce touriste qui est passé par là par hasard, il y a quelques années. « Il me disait qu’avec son voisin, il faisait un concours de qui aurait les plus belles tomates, mais qu’il perdait systématiquement. Je lui ai donné un sac de mon fumier. L’année suivante, il a fait la route depuis Québec juste pour m’en racheter : pour la première fois, il avait gagné! »

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