Actualité

Une école qui s’épuise

Par Jean-François Parent le 2020/03
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Une école qui s’épuise

Par Jean-François Parent le 2020/03

Penser que l’école peut et doit prendre en charge la résolution de problèmes sociaux ou sanitaires entraîne l’éducation dans une dérive. Soyons terre à terre : l’école a cette caractéristique de concentrer en un seul lieu tous les enfants et adolescents par groupes d’âge. On veut vacciner les enfants? Allez hop, l’école! On veut que tous les enfants rencontrent un dentiste? Allez hop, l’école! On veut régler l’intimidation? Allez hop, l’école! On veut que les enfants adoptent une alimentation saine et de bonnes habitudes de vie? Allez hop, l’école! En elle-même, l’énumération est lancinante.

C’est sans doute avec cette image en tête que la présidente de l’Association des médecins psychiatres du Québec, la Dre Karine Igartua, a récemment proposé d’instaurer un cours d’éducation à la santé mentale de la maternelle jusqu’à la fin du secondaire1. Elle dénonçait par là le manque de ressources en pédopsychiatrie. Manifestement, il est alarmant et atterrant d’apprendre que tant de jeunes souffrent. Vouloir prendre en main cette situation est impérieux.

Toutefois, depuis quelques décennies, nombre de mandats socio-sanitaires s’ajoutent au cursus scolaire de sorte que l’école comble les carences des autres ministères. Des exemples? L’éducation à la sexualité ou les menus santé en milieu scolaire, l’initiation des élèves à la démocratie, l’introduction aux tableaux numériques interactifs, le développement de l’intérêt des filles pour les sciences ou les métiers non traditionnels, l’orientation des élèves vers des secteurs d’emploi en manque de personnel, l’éducation financière, la sensibilisation à la cyberdépendance, à la violence familiale, à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre, les déplacements sécuritaires entre la maison et l’école, la politesse et les bonnes manières, l’examen de la vue, l’intérêt de faire méditer l’élève, l’importance de bouger (les fameux cubes-énergie), l’école orientante, etc. Le traitement de tous ces dossiers par l’école a pour corollaire incontournable la formation des enseignantes et des enseignants afin qu’ils puissent aborder ces thématiques. On surcharge l’école et on la détourne de ses objectifs tout en plongeant dans la pensée magique.

Déresponsabiliser les parents?

L’idée que l’école québécoise, à son corps défendant, soit partie prenante d’une déresponsabilisation parentale nous effraie également. Parce qu’à y regarder de plus près, on comprend que si bon nombre de sujets et de préoccupations qu’on impose à l’école et à son personnel viennent des ministères qui refilent des parts de leur mission à l’éducation, il faut aussi admettre que bien des parents laissent de façon assez notable l’éducation de leur enfant entre les mains de l’école. Dénoncer les parents et leur attitude dans ce contexte est vu comme une hérésie, et, pour plus d’un, la rectitude politique empêche la formulation de ce genre de propos. Réveiller les parents et leur remettre sous les yeux leurs responsabilités est pourtant une obligation. L’école tente poliment de le faire, mais elle sait bien quelles sont ses limites dans ce genre de propos. Le faire honnêtement la placerait au cœur d’une tourmente : l’école aimerait bien que les parents prennent plus de responsabilités à l’égard de leur progéniture, surtout en matière de politesse et de respect d’autrui, alors que cela devrait aller de soi. Voici le paradoxe : le sens commun des uns ne semble plus correspondre à celui des autres.

Il fut un temps, surtout à l’époque révolue des polyvalentes, où l’école québécoise disait presque aux parents : « Laissez-nous vos enfants, nous nous en chargerons et s’il vous plaît faites-nous confiance et ne mettez plus le nez en nos murs! » L’actuelle tendance serait-elle : « École, de grâce, prends mon enfant et ne viens plus me déranger, mais surtout, surtout, fais de mon enfant un citoyen exemplaire, poli, instruit, bienveillant, ce que je n’ai pas le temps de faire. Un conseil : fais-le sans le contrarier sinon je te taperai sur les doigts »? Doit-on y voir là les enfants-rois d’il y a peu devenus des parents-rois?

Avec tous ces ajouts au cursus scolaire, l’école épuise ses forces : elle compense aussi bien qu’elle le peut cette dérive, mais cela, au détriment de l’accomplissement de son mandat. Pas étonnant que les centrales syndicales revendiquent que, chaque semaine, une heure consacrée à l’enseignement des arts ou du programme d’éthique et culture religieuse devienne du « travail de nature personnelle2 » afin que les enseignantes et les enseignants puissent souffler un peu. Des solutions? Il faut réussir à isoler le système éducatif des pouvoirs politiques et économiques, tout comme le sont les juges des politiciens. Ce sera déjà un excellent début!

1. Ariane Lacoursière, « Explosion de la détresse chez les jeunes : les psychiatres réclament un cours d’éducation à la santé mentale », La Presse, 25 octobre 2019, http://plus.lapresse.ca/screens/385f91dd-1108-4dcb-abfa-8fc76bccfec7__7C___0.html?utm_medium=Email&utm_campaign=Internal+Share&utm_content=Screen.

2. Marie-Ève Morasse, « Les enseignants ont besoin d’air », La Presse, 7 novembre 2019, http://plus.lapresse.ca/screens/ffa380cd-a2e4-42cb-b0ec-4387ff9ff9a5__7C___0.html?utm_medium=Email&utm_campaign=Internal+Share&utm_content=Screen.

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