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Retour à l’essentiel1

Par Maurice Dumas le 2020/03
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Retour à l’essentiel1

Par Maurice Dumas le 2020/03


« Plus le monde se globalise, plus il s’individualise et se fragmente. C’est justement parce qu’il se mondialise qu’il s’atomise. Car dans un marché qui devient global […] les institutions médiatrices qui fondaient le lien social sont en proie à un processus de dissociation2. »

Des politiciens, des journalistes, des gens d’affaires, des banquiers, des PDG, des intellectuels à la solde d’entreprises privées assistent à la dilapidation des ressources, à la concentration de la richesse, à la centralisation du pouvoir, au dénigrement des identités nationales, à la manipulation des courants d’opinions, au mépris des libertés, sans opposition, sans objections. Sans dénonciation, sans rébellion, rabougris, affadis, soumis, conquis, agnus dei, nous subissons le désolant spectacle de l’humanité en déroute.

Albert Jacquard écrivait en 1990 : « Face au gâchis humain actuel, n’est-il pas temps de s’adresser à des sources autres que les experts financiers des grandes banques et les économistes des entreprises multinationales?3 ». Le capitalisme mondialement déréglementé tel qu’on l’applique au XXIe siècle est-il en train de devenir la religion universelle des temps modernes? Serait-ce que les merveilles technologiques modernes hypnotisent les jeunes générations au point qu’elles deviennent des entités désincarnées sans patrie, sans culture, sans identité? Sommes-nous devenus des esclaves satisfaits, à la vue obstruée, à l’imagination réduite, à la créativité en panne? Quand l’intelligence artificielle prétend avoir le pouvoir de « robotiser l’humanité », la vie humaine a-t-elle encore un sens, une valeur? Si c’était le libre arbitre intelligemment exercé? Si c’était la liberté? Si cette reconnaissance ne tenait qu’à notre conscience et à notre vigilance?

La véritable révolution s’impose. Elle s’incarne dans une prise de conscience collective du devoir de réagir, de freiner l’emballement du système actuel, matérialiste et sauvage. Un sérieux devoir de résistance nous incombe : proclamer notre opposition à la suprématie des technologies, à la soumission aux lois du marché, à la concentration du pouvoir, à la déification de l’argent, à la destruction des ressources planétaires. Promouvoir sans relâche les technologies au service de l’Homme plutôt que l’abandon aveugle au tout-puissant marché. Il s’agit d’une action solidaire dans le respect mutuel des libertés démocratiques de tous les peuples : l’utilisation du génie, des technologies, de l’argent, et de la science dans des modalités propres à chacun d’eux, qu’elles soient d’ordre géographique ou national, visant le même but : la paix. Une utopie, dirait l’autre. Tout commence par une utopie.

Il y aura toujours des catastrophes naturelles, des cataclysmes ou des fléaux incontrôlables. Seule la solidarité entre les peuples peut venir en aide aux plus affligés par ces drames. Il y aura toujours des guerres, des conflits sociaux, religieux, ou commerciaux, parce qu’il y aura toujours des imposteurs, profiteurs, exploiteurs, prédateurs, charlatans, gourous, qui n’hésiteront pas à utiliser la religion, la dictature, la manipulation, l’escroquerie, ou la corruption pour abuser des plus faibles, comme des plus malchanceux, des plus éprouvés, des plus dépourvus, afin d’assouvir leur instinct de despotes, de dominateurs, d’oppresseurs, dans la possession du pouvoir financier, politique ou psychologique, quand ce n’est pas afin de satisfaire leur narcissisme égocentrique, vaniteux ou pathologique, dans le mirage de leur gloire évanescente.

À la suite du courageux appel à l’indignation lancé en 2010 par Stéphane Hessel, quelques soulèvements se sont produits qui ont vite été rabroués, récupérés ou confondus. Faut-il pour autant abandonner la lutte? La vie semble être un combat sans fin pour une plus grande civilisation de l’Homme.

Que retentisse l’alarme de la vigilance. Que les peuples reprennent le contrôle de leurs institutions, de leurs gouvernements, de l’utilisation raisonnable et responsable de leurs ressources dans le respect mutuel des libertés et des identités nationales. Seul le retour à l’essentiel assurera aux citoyens de toutes les nations, la dignité à laquelle ils ont droit. Notre devoir de citoyens et de citoyennes du monde conscients et conscientes commande une action sans répit, sans concessions, basée sur l’éducation, dans un choix de modes de vie qui conviennent aux aspirations les plus humaines : la sécurité, le respect, la dignité, la paix. Voilà l’essentiel, les conditions de l’Homme libre.

1. Cet article est un extrait du manifeste « Stop! Temps d’arrêt demandé ».

2. Frederico Mayor cité par Thomas De Koninck dans La nation sans religion, 2009.

3 Albert Jacquard, Voici le temps d’un monde fini, Seuil, 1991.

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