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CECI N’EST PAS UNE CRISE FERROVIAIRE

Par Lysane Picker-Paquin le 2020/02
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CECI N’EST PAS UNE CRISE FERROVIAIRE

Par Lysane Picker-Paquin le 2020/02

Il y a à peine plus d’un an, la GRC arrêtait violemment 14 personnes en territoire non-cédé Wet’suwet’en. La police d’état appliquait alors une injonction pour le compte de TC Énergie (TransCanada à l’époque) afin d’assurer l’accès au chantier du pipeline Coastal GasLink (CGL). En décembre dernier, The Guardian révélait que non seulement la GRC était étroitement liée à la stratégie juridique de TC Énergie, mais qu’en plus, l’utilisation de « force létale » était envisagée pour « stériliser le site »[1], et ce, malgré l’absence d’actions violentes de la part des Wet’suwet’en.

Quelques jours suivant ces révélations, l’histoire se répète et la Cour suprême de la Colombie-Britannique accorde une prolongation de l’injonction demandée par TC Énergie. Janvier 2020 : la GRC dresse une zone d’exclusion et bloque l’accès à des avocats des droits humains[2] ainsi qu’à des journalistes. Début février, la GRC poursuit l’invasion du territoire Wet’suwet’en et effectue plus d’une vingtaine d’arrestations, tout en limitant toute couverture médiatique des événements.[3] Les actions de solidarité anti-coloniales et anti-pipelines se multiplient partout au pays, mais il faudra attendre que des voies ferrées soient bloquées pour que la situation fasse les manchettes.

Si le silence médiatique de janvier était inquiétant, les dérives de la couverture actuelle l’est tout autant. Comment se fait-il qu’on titre « crise ferroviaire » alors que la vraie crise c’est la répression violente de la GRC au service d’une industrie hautement polluante ? Comment se fait-il qu’on parle de « blocages illégaux » alors que les Premières Nations sont en réalité sur leurs territoires et se lèvent dignement pour la protection de notre environnement à toutes et tous ?

Cet article se veut une contribution pour mieux comprendre la situation et déconstruire quelques mythes à honteuse tendance coloniale propagés dans la sphère publique.

 

Unistot’en n’est pas un « campement de protestation »

La construction du camp a débuté en 2010 et on y trouve depuis 2015 un Healing Centre, proposant une approche innovante d’auto-détermination du bien-être[4]. Au-delà du blocage de projets extractivistes, le camp Unistot’en se veut surtout une opportunité pour les Wet’suwet’en de se réapproprier leur culture et échapper à la pression des institutions coloniales que sont les réserves. Au fil des ans, le camp est devenu un milieu de vie choisi par une communauté habitant ce territoire depuis des millénaires.

 

« L’état de droit » n’est pas respecté par la Colombie-Britannique

En évacuant le camp Unistot’en, la GRC contrevient à la Déclaration des Nations Unies pour le droit des peuples autochtones (DNUDPA) qui stipule que « Les  peuples  autochtones  ne  peuvent  être  enlevés  de  force à leurs territoires »[5]. Bien que cette Déclaration n’ait pas de portée légale, autant le gouvernement britanno-colombien de Horgan[6] que celui de Trudeau[7] ont affirmé que l’harmonisation de leurs lois avec la DNUDPA était une priorité. Sous une telle législation, les actions de la GRC seraient illégales, tout comme celles de TC Énergie, qui ne respecte pas l’obligation d’obtenir le « consentement libre et éclairé » des Premières Nations pour tout projet sur leur territoire. Un comité de l’ONU a d’ailleurs interpelé le Canada à ce sujet, l’exhortant de cesser trois projets énergétiques, dont CGL.[8]

Aussi, le verdict de l’affaire Delgamuukw en 1997 invalide la décision de la Cour suprême de la Colombie-Britannique qui ne reconnaissait pas les titres de propriété des nations Gitxsan et Wet’suwet’en. La Cour suprême du Canada définit alors le titre autochtone comme « le droit exclusif des peuples autochtones sur le territoire » et affirme que le gouvernement provincial ne pouvait pas porter atteinte à leur souveraineté.[9]

 

CGL n’a pas l’appui des Wet’suwet’en

TC Énergie se vante de travailler en collaboration avec les Premières Nations et d’avoir leur appui pour CGL. Toutefois, au moins dans le cas des Wet’suwet’en, ce sont les chefs de bande qui appuient le projet alors que les chefs héréditaires ont refusé à l’unanimité tout projet de pipeline.[10] Or, les chefs de bande, institués en vertu de la Loi sur les Indiens, n’ont de pouvoir que sur les réserves et c’est plutôt aux chefs héréditaires que revient la souveraineté en terres ancestrales où est projeté le pipeline. Aussi, dans l’entente signée par les chefs de bande, une clause les engage à user de leur leadership pour contenir toute dissidence et dissuader les membres de leur communauté à s’engager publiquement contre CGL.[11] On peut donc se questionner sur ce qui est compris comme une « approche collaborative » par TC Énergie…

 

En portant un regard attentif au vocabulaire utilisé par les élus, la GRC et TC Énergie, on reconnaît un processus d’invisibilisation et de criminalisation des luttes autochtones malheureusement trop fréquent. En effet, loin d’être un cas isolé, la crise actuelle constitue plutôt un cas-école sur les enjeux communicationnels liés à la violence coloniale. Pourquoi les voies ferrées bloquées par les Premières Nations attirent davantage l’attention que les nombreuses actions dérangeantes des non-autochtones ? À qui sert le message que cette lutte ne concerne que les Premières Nations ? Qui bénéficie de la marginalisation de leurs revendications ?

J’ose espérer que nos solidarités seront plus fortes que les discours trafiqués relayés par les médias et que nous serons nombreuses et nombreux à continuer de questionner l’héritage colonialiste du soi-disant Canada.

 


[1] https://www.theguardian.com/world/2019/dec/20/canada-indigenous-land-defenders-police-documents

[2] https://rabble.ca/blogs/bloggers/brent-patterson/2020/01/rcmp-blocks-human-rights-lawyers-accessing-wetsuweten

[3] https://thetyee.ca/News/2020/02/14/RCMP-Accused-Crisis-Press-Freedom/

[4] http://unistoten.camp/come-to-camp/healing/

[5] https://www.un.org/development/desa/indigenouspeoples/wp-content/uploads/sites/19/2018/11/UNDRIP_F_web.pdf

[6] https://www.cbc.ca/news/canada/british-columbia/assembly-of-first-nations-recognizes-b-c-s-historic-undrip-legislation-1.5382649

[7] https://www.cbc.ca/news/indigenous/trudeau-undrip-bill-1.5383755

[8] https://lactualite.com/actualites/un-comite-de-lonu-appelle-le-canada-a-stopper-trois-projets-dont-trans-mountain/

[9] https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/affaire-delgamuukw-1997

[10] https://www.yintahaccess.com/historyandtimeline

[11] https://www.cbc.ca/news/indigenous/coastal-gaslink-nak-azdli-whut-en-agreement-1.5238220

 

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