Champ libre

Pratique ou pas pratique

Par Eric Normand le 2019/11
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Champ libre

Pratique ou pas pratique

Par Eric Normand le 2019/11

Corpore sano

Nous vivons dans des sociétés vieillissantes. Et ce n’est pas une affaire d’âge. Nous construisons du désuet. Nous bâtissons des infrastructures sur des idées dépassées. Nous construisons à gros prix des routes pour la bête du pétrole et ses globules-chars, symbole de l’individualisme et de la propriété (qui vient avec la dette). Nos dirigeants construisent les pipelines de la dernière chance.

Il faut bien se déplacer, diront plusieurs. Il faut bien ceci, il faut bien cela, comme si la logique de la nécessité puisse encore nous convaincre. Comme si les grands récits historiques et leur apparente nécessité avaient encore cours.

Pire. Même quand « il ne faut rien », même quand nous avons le choix, nous appliquons la même logique étroite et gérons nos loisirs de façon irréfléchie, dépassée, dans une forme d’aliénation désolante. Et le soir, une petite série américaine normalisante sur le serveur d’un voyou économique qui empoche 24 milliards de dollars sans payer d’impôt. C’est vraiment cool!

À ma première visite au nouveau complexe sportif de Rimouski, je n’ai pu m’empêcher de ressentir un grand malaise. Loin de moi l’idée de parler contre le sport. Je suis fils de prof d’éduc et je suis conscient que l’activité physique et les jeux d’équipe sont très positifs dans le développement des enfants. Soit.

Mais je trouve que nous faisons fausse route. Et dans ce lieu tout neuf et sans ambition, il semble que nous cultivons les stéréotypes et les ambitions malsaines d’une société qui a mal assimilé son rapport au jeu.

Pas question d’innover, de faire un building écologique, comme le complexe semi-submergé de Madrid, un parc récréatif au toit vert comme à Amsterdam. Pas question non plus de faire un « community center » où le sport croise la créativité et les activités sociales. Que nenni! On est à Rimouski et on fait un gros bloc, Costco style, avec le nom d’une banque en lettrage mal justifié.

En plus d’une étouffante standardisation du genre, qu’y cultive-t-on?

On embarque nos enfants dans le sport comme dans une secte, avec un désir de performance malsain. En plus des quelque 5 000 $ dollars investis par année, la famille qui inscrit son enfant dans le sport doit s’attendre à ce que toute sa vie soit régie sur l’horaire du petit qui aura plusieurs pratiques par semaine en plus des matchs et des compétitions. Pas question de s’amuser! On forme les enfants comme des champions du monde. Pas de niaisage! Vous êtes l’élite! Pendant que la majorité des enfants ne peut pas se payer de loisirs sportifs.

Des pays comme la Norvège ont interdit la compétition chez les moins de 12 ans. Le sport se fait uniquement de façon conviviale et dans une logique de loisir. On y encourage aussi la mixité et l’intégration d’enfants moins fortunés par des coûts d’inscription relatifs aux salaires.

Et les milieux sportifs ont leur lobby. Les villes construisent, à fort prix, des infrastructures pour la pratique sportive, alors qu’on les trouve beaucoup plus chiches à investir dans les lieux communautaires de pratique artistique. Pourtant, de nombreuses études ont démontré les bienfaits de l’art et de l’imagination chez les enfants tant sur le plan cérébral qu’émotionnel.

Idem dans le milieu de l’éducation. Si Pierre Lavoie et Ricardo veulent renouveler l’école, pourquoi n’y a-t-il pas un artiste dans la bande? Pourquoi sommes-nous prêts à investir des fortunes en infrastructures sportives et si peu pour la pratique des arts (souvent fait dans les classes, avec de simples crayons)? Je crois que ce sont des questions que l’on doit poser à l’heure de la démocratisation des pratiques et enfin viser une approche équilibrée entre activités physiques, activités créatives et sensorielles, avec, derrière, une philosophie qui vise le bien-être et le développement optimal des enfants.

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