
Entrevue avec Laure Waridel, éco-sociologue et auteure de l’essai La transition, c’est maintenant. Choisir aujourd’hui ce que sera demain paru en novembre chez Écosociété. Laure Waridel est cofondatrice d’Équiterre, chroniqueuse, conférencière, professeure et co-porte-parole du Pacte pour la transition. Elle a aussi publié Acheter, c’est voter, en 2005 et L’envers de l’assiette, en 2011.
Dans son plus récent essai, Laure Waridel identifie les dysfonctions du système capitaliste comme cause des maux les plus importants qui affectent notre planète, plus précisément, ici, les injustices climatiques. Elle nous incite à effectuer, individuellement et collectivement, une transition en passant du discours à l’action. En plus de nous inviter à mettre en place des mesures concrètes, elle propose une réflexion sur les choix de société et des transformations économiques majeures, nécessaires à cette transition. Selon Laure Waridel, sortir d’un modèle qui repose sur la croissance et la consommation matérielle est le premier pas à faire pour amorcer la transition; le second est de faire passer l’intérêt du bien commun avant l’intérêt d’une minorité.
Son argumentaire nous aide à prendre conscience des impacts de ce système économique sur la société, et cette prise de conscience est le préalable à l’action. Ces deux « attitudes » — prendre conscience et agir — ne sont pas en opposition, selon Laure Waridel, mais complémentaires. En effet, les politiques publiques ne changeront pas s’il n’y a pas, tout d’abord, des individus prêts à changer leur mode de vie, à délaisser leur confort, en faveur d’une plus grande justice sociale. « Tu ne peux pas demander à quelqu’un de s’engager politiquement s’il n’a pas déjà fait une certaine prise de conscience qui passe par quelque chose qui est de l’ordre de l’individuel, c’est-à-dire par un constat qui se passe dans la tête et le cœur d’un individu et qui se traduit en geste. Les gens qui agissent politiquement sont aussi des gens qui cherchent la cohérence dans leur quotidien […] en se questionnant sur leurs propres comportements et l’impact qu’ils ont dans la société. »
Même si nous avons l’impression que le discours n’évolue pas, les données empiriques montrent une baisse globale de la pauvreté dans le monde. Ces améliorations sont le résultat du travail des ONG, des groupes communautaires et des citoyennes et des citoyens impliqués, c’est-à-dire des personnes intensément mobilisées, prêtes à faire de la pression sur les élus et les élues en demandant des changements politiques.
Laure Waridel souligne que ce sont les révolutions non violentes qui sont les plus efficaces et qui permettent d’effectuer des changements permanents. On dit que si une part de 3,5 % d’une population s’engage, c’est suffisant pour entraîner un basculement politique important. Au Québec, cette part représente environ 193 000 personnes. Tout le monde ne s’indigne pas des injustices climatiques, mais la question environnementale est une bonne porte d’entrée pour émouvoir le public. D’ailleurs, de plus en plus de personnes de toutes les sphères de la société veulent faire les choses autrement, car riches ou pauvres, un jour ou l’autre, toutes les populations seront touchées par la crise climatique.
Laure Waridel est persuadée que si nous avions une vision claire de ce que serait un monde empreint de justice, on enclencherait la transition, même avec les inconvénients qu’elle comporte. Pour ce faire, l’auteure propose l’utilisation simultanée de plusieurs stratégies. Même si elles sont diverses, ces stratégies permettent d’associer nos forces afin d’atteindre un objectif commun : une société à la fois plus juste et plus écologique. Selon l’auteure, au lieu de critiquer, entre nous, les initiatives de la gauche, unissons-nous autour de notre objectif commun. En nous divisant, dit-elle, on joue exactement le jeu que nos ennemis souhaitent. Ne nous en déplaise, il faut des militants qui s’impliqueront dans des partis politiques pour renforcer nos positions et éventuellement en venir à prendre le pouvoir. Parallèlement, il faut aussi plus de gens qui s’impliquent dans la population, et cette division au sein de la gauche décourage les gens de s’engager. « La démocratie, c’est comme l’hygiène globale; il faut être capables d’aller à des manifestations, de signer des pétitions, d’aller au conseil municipal, de faire des poursuites juridiques, mais aussi être cohérents et être capables de consommer moins, d’investir autrement, de partager les richesses qu’on a, en donnant à des organismes communautaires […]. »
Les mesures mises en place pour la transition doivent être équitables de manière à ce qu’elles soient justes. Il est nécessaire que l’effort demandé soit progressif et proportionnel aux capacités des populations. En effet, la transition ne doit pas affecter les plus vulnérables de notre société, qui ont une empreinte écologique moins grande comparativement aux plus riches. Nous vivons à une époque où nous sommes dépendants les uns des autres comme nous ne l’avons jamais été auparavant. Ayons conscience des impacts de nos choix sur les gens d’ici et d’ailleurs.
Laure Waridel, La transition, c’est maintenant. Choisir aujourd’hui ce que sera demain, Écosociété, 2019, 376 p.