
En 2018, Les Éditions du Boréal publiaient Lettres biologiques. Recherches sur la sexualité humaine, qui réunit la correspondance du frère Marie-Victorin adressée à son assistante au Jardin botanique de Montréal, Marcelle Gauvreau. Cette correspondance s’étend de 1934 à 1944. On peut s’étonner qu’un membre du clergé entame des recherches sur la sexualité, surtout à cette époque où l’église (et sa morale) fait partie du quotidien. Or, comme il est biologiste, la curiosité scientifique du frère Marie-Victorin peut se révéler « légitime »…
Depuis septembre dernier, la deuxième partie de ces échanges est offerte au public. Avec l’accord des descendants de la famille Gauvreau, Lettres au frère Marie-Victorin. Correspondance sur la sexualité humaine rassemble les réponses de Marcelle Gauvreau à son mentor, la voix féminine de ces recherches sur le fonctionnement de l’appareil reproducteur humain. La jeune assistante y relate le souvenir de ses premières règles dans un contexte où elle a reçu peu d’information de la part de sa grande sœur pour comprendre ce changement corporel et s’indigne du fait que les jeunes filles ne soient pas prévenues de l’arrivée de ce phénomène naturel. Elle note également les changements dans ses « sensations » au fil de son cycle hormonal et s’instruit de l’appareil reproducteur masculin par les lettres du frère Marie-Victorin, bien sûr, mais aussi par ses suggestions de lecture sur la sexualité. On retrouve en annexe les notes de lecture de Marcelle Gauvreau, indignée de la vulgarité de Fleurs de chair, étonnée de certaines pratiques décrites dans Le livre d’amour de l’Orient.
De nature très pieuse et encore vierge, elle aborde, avec des amies mariées, le sujet des relations sexuelles. Elle comprend que les jeunes fiancés découvrent des sensations bien avant le mariage, font des choses dont il faut se confesser. Et idée somme toute moderne, Marcelle et une amie se demandent s’il y a un lien entre le corps d’une épouse qui ne répond pas aux avances, le consentement et le désir sexuel féminin. Marcelle et son amie croient que oui. Mais le devoir conjugal… « Il faudrait bien essayer de parler un peu de cette question d’idéalisation dans le mariage, suggérer que l’on en parle aux fiancés. »
Un amour scientifique
Le sentiment amoureux qui se dégage de cette correspondance soulève chez le lecteur un questionnement qui a aussi inquiété mère Marie des Anges, la sœur du frère Marie-Victorin : la foi de ces amoureux platoniques était-elle assez forte pour élever leurs sentiments au-dessus de la chair? À tout le moins, on peut comprendre que cet homme et cette femme ont vécu leur désir à travers une recherche scientifique, dans le but de s’éduquer à la biologie humaine, parallèlement à la biologie végétale, avec l’espoir qu’un jour, on lève les tabous sur ce sujet naturel. Pour la part d’inconnu, disons simplement qu’ils étaient avant-gardistes et que, depuis, la Révolution tranquille a eu lieu.
La parution de cette correspondance ajoute une page à notre histoire. Un peu avant que William Masters et Virginia Johnson établissent les bases de la sexologie, il y avait au Québec un frère, biologiste de formation, qui revendiquait le droit pour les prêtres de se marier, et une femme, passionnée de botanique, qui ont osé investiguer la sexualité humaine « au nom de la science », entre le péché et l’émancipation, dans la vocation malgré leur affection.
Marcelle Gauvreau, Lettres au frère Marie-Victorin. Correspondance sur la sexualité, présentées par Yves Gingras et Craig Moyes, Boréal, 2019, 280 p.