
Dans le contexte des conférences organisées par le Groupe de recherche interdisciplinaire sur le développement régional, de l’Est du Québec (GRIDEQ) en collaboration avec ses partenaires, l’Université du Québec à Rimouski (UQAR) s’intéresse au phénomène de l’heure : la laïcité. La Loi québécoise sur la laïcité de l’État tente, à travers ses principes et ses modalités, de définir ce concept. Trois grandes figures intellectuelles ont accepté l’invitation de venir à l’UQAR pour présenter leurs opinions sur la question et en discuter avec le public : Guy Rocher (17 septembre), Charles Taylor (30 septembre) et prochainement Gérard Bouchard (11 novembre).
La Loi québécoise sur la laïcité de l’État
Cette loi a été sanctionnée en juin 2019 sous le bâillon (en limitant le temps de débat) : 73 députés ont voté en faveur (CAQ et PQ) et 35 ont voté contre (PLQ et QS). Déjà, la loi est contestée devant les tribunaux et ce dossier est devenu un enjeu de l’élection fédérale. La loi soutient que l’État du Québec est laïque et que cette laïcité repose sur quatre principes : la séparation de l’État et des religions, la neutralité religieuse de l’État, l’égalité de tous les citoyens et citoyennes, la liberté de conscience et de religion. Elle se traduit par l’interdiction de porter un signe religieux et l’obligation d’offrir des services à visage découvert pour certaines catégories de personnes identifiées dans la loi. Un signe religieux est un « objet, notamment un vêtement, un symbole, un bijou, une parure, un accessoire ou un couvre-chef qui est porté en lien avec une conviction ou une croyance religieuse ». Les différends quant à la loi portent d’abord sur ses principes : son adoption impose de modifier la Charte québécoise des droits et libertés de la personne et d’utiliser les clauses dérogatoires de la Charte canadienne des droits et libertés. Bref, la loi québécoise contrevient à certains articles de ces chartes. Sur le plan des modalités, il est souvent difficile de reconnaître un signe religieux (et de le distinguer d’un symbole culturel), mais la pierre d’achoppement est surtout l’interdiction du port du signe religieux par les enseignants et les enseignantes du réseau scolaire public.
Guy Rocher : oui à la loi
Guy Rocher est un sociologue québécois de grande réputation, un professeur émérite de sociologie de l’Université de Montréal. Il est nationaliste et progressiste, et a été un artisan de la Révolution tranquille et un des commissaires de la commission Parent qui a contribué à l’instauration d’un système scolaire accessible et gratuit. Il est d’accord avec la loi. Son argument principal est que les convictions religieuses des élèves doivent avoir préséance sur celles des enseignants et des enseignantes. Cinq motifs militent en faveur de sa position. (1) La loi va dans le sens des grandes transformations mises en œuvre à compter des années 1960 sur le plan de la démocratisation des sociétés (mais un recul est observé récemment). (2) L’État doit respecter les convictions religieuses des élèves et des parents. (3) Le Québec est une société pluraliste sur le plan religieux. (4) C’est la première fois qu’est défini dans une loi le concept de laïcité, et cette définition n’est pas antireligieuse, mais utile et opératoire. (5) La loi n’est pas faite que pour le présent, mais surtout pour l’avenir. Guy Rocher craint une « reconfessionnalisation » du système scolaire québécois à moyen terme et la Loi sur la laïcité de l’État constitue selon lui un rempart.
Charles Taylor : non à la loi
Charles Taylor est un philosophe québécois, un professeur émérite de sciences politiques de l’Université McGill. Auteur de réputation mondiale, son œuvre est saluée comme une riche contribution à la pensée contemporaine. Il est coauteur du rapport Bouchard-Taylor (2008) sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles. Il est contre la loi. Selon lui, elle est de nature à entraver l’intégration des nouveaux arrivants et à alimenter les préjugés. Son argumentaire se fonde sur la distinction entre la laïcité ouverte (dont il se réclame) et la laïcité militante (qui correspond aux principes de la loi). Il voit dans la laïcité militante une forme de discrimination entre les religions, car certaines sont associées à des signes extérieurs évidents. Il déplore notamment l’interdiction du port du voile islamique par les enseignantes québécoises. « Pour être Québécois, il faut semble-t-il être un ex-catholique », conclut-il en boutade.
Lors des échanges avec l’auditoire, les deux invités ont fait preuve d’ouverture d’esprit et de respect à l’égard des personnes qui ne partageaient pas leurs opinions. Le débat n’est toutefois pas clos, et le public est invité à rencontrer l’historien et sociologue Gérard Bouchard (coauteur du rapport Bouchard-Taylor) le 11 novembre 2019 à 17 h à la salle P-210 de l’UQAR-ISMER. Gérard Bouchard a déjà exprimé ses réserves quant à cette « loi radicale issue d’un débat cadenassé ».