
Depuis plusieurs années, on assiste à une prise de conscience graduelle du phénomène du réchauffement de la planète. Tous les gouvernements ou presque essaient d’ajuster leurs politiques publiques environnementales pour répondre, ou du moins essayer de répondre aux conséquences de ce que certains scientifiques appellent le plus grand défi du siècle. Des organisations se développent, plus puissantes les unes que les autres, et les célébrités grossissent les rangs des leaders du climat. Des films tentent de conscientiser les populations et de rallier les décideurs encore sceptiques devant la cause climatique. Les jeunes, quant à eux, organisent depuis 2005 des assemblées « Conference of Youth » (COY) en amont des « Conferences of the Parties » de l’Organisation des Nations Unies. Les principaux objectifs de ces réunions annuelles sont non seulement de faciliter les échanges, les expériences et les compétences, mais également de préparer les jeunes leaders à participer aux débats de la conférence de l’ONU. Par ailleurs, d’autres activités beaucoup plus directes se déroulent dans divers pays, tant au nord qu’au sud.
Les jeunes Haïtiens, qui sont victimes chaque année de précipitations climatiques extrêmes causant cyclones, ouragans, sécheresses, ne sont pas indifférents au problème des changements climatiques. En 2016, plusieurs d’entre eux se sont regroupés pour organiser une COY locale sur le campus Henri Christophe de Limonade qui a réuni plus de 300 participants. Cette première initiative dont j’étais l’un des initiateurs a donné le ton à d’autres dans le domaine de l’éducation, de la sensibilisation, de la gestion des déchets, etc. Aujourd’hui, on recense plusieurs projets à travers le pays qui sont menés par les jeunes étudiants et des entrepreneurs. Certains de ces projets sont très ambitieux et pertinents, tandis que d’autres ont été inspirés d’initiatives réalisées dans d’autres pays dont les réalités ne sont pas les mêmes que celles d’Haïti.
Contextualiser les projets
En organisant la première COY en Haïti, nous avons compris que les changements climatiques étaient un concept assez flou, populaire certes, mais mal appréhendé par les jeunes qui voulaient s’impliquer. Aussi, la première édition répondait-elle à ce déficit d’information. La deuxième édition a réuni, entre autres, des porteurs de projets à caractère écologique et environnemental. Cependant, certains de ces projets n’ont pu atteindre les objectifs fixés parce qu’ils étaient copieusement inspirés de projets réalisés à l’étranger ne répondant donc nullement aux réalités socioculturelles et économiques d’Haïti et parce qu’au lieu de s’inscrire dans une perspective large et réfléchie, ils étaient plutôt montés dans la précipitation. Si des projets comme EcoJogging qui consistait à collecter des déchets en vue de les transformer en œuvres d’utilité comme des balais, des stylos, etc., ou ce projet qui permet d’obtenir, à l’aide d’une imprimante 3D, des instruments de géométrie répondaient à un besoin, d’autres, par contre, ont été montés sans réelle étude de faisabilité. À ce titre, on peut citer ce projet de reboisement aux Gonaïves qui a vécu moins de temps qu’il n’en a fallu pour le concevoir. On peut énumérer sans fin les projets, mais on arrivera souvent à la conclusion qu’une grande majorité a échoué malgré les bonnes intentions des initiateurs.
Il est indéniable que le réchauffement de la planète n’est pas une fatalité et qu’il affecte tous les pays, les données scientifiques en témoignent, mais il est aussi vrai que certains pays, à cause de leur pauvreté, ont des difficultés à mettre en place des mécanismes d’atténuation et d’adaptation. Les fréquentes inondations en Haïti en sont les preuves. De ce fait, les mesures à prendre doivent tenir compte des spécificités de chaque pays selon qu’il soit émetteur de gaz à effet de serre ou non, selon sa capacité de résilience, l’éducation de ses populations et les technologies dont il dispose. Par conséquent, des projets menés au Nord sont plus susceptibles d’échouer au Sud s’il n’y a pas un important effort de contextualisation parce que les situations peuvent présenter certaines similitudes, mais elles sont différentes.
Les jeunes Haïtiens doivent s’impliquer beaucoup plus pour contribuer à la lutte contre les changements climatiques, que ce soit sur le plan de l’éducation des populations citadines et des masses paysannes, qui sont au premier rang des victimes, ou dans la conception de projets innovants. Si l’implication est nécessaire, cette nécessité sera beaucoup plus efficace sans amateurisme ni précipitation. Parce qu’en plus de devoir travailler avec de maigres moyens financiers, une quasi-absence de politique publique adéquate en environnement, un manque de support institutionnel et de technologies, les jeunes ne peuvent pas se permettre de faire l’économie de la minutie, de la créativité. Ils doivent au contraire être plus conscients de leur réalité, utiliser des méthodes et des outils scientifiques, travailler dans une saine gestion de projet.